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1830, et, si dans la coalition de 1839 il semblait venir en aide à une royauté menacée d’un assaut parlementaire, c’était peut-être bien plutôt par antipathie contre ceux qui l’attaquaient que par une préférence décidée pour l’institution elle-même. Au fond, voilà la vérité, l’homme de la restauration vivait toujours en lui, et dans le secret de son âme il gardait à la monarchie nouvelle ce qu’il a lui-même appelé « la rancune décente d’un royaliste tombé. » Sans vouloir se mêler aux combinaisons de partis, aux coalitions meurtrières, il ne voyait dans la monarchie élue qu’une transition précaire conduisant à une extension inévitable de l’idée démocratique, et avant tout une dérogation violente et périlleuse aux lois héréditaires de la royauté. Lamartine, par sa nature, par le tour de ses idées, par les habitudes de son esprit, n’entrait d’aucune façon dans les considérations qui avaient pu rendre la révolution de 1830 nécessaire et légitime. C’était pour lui affaire de sentiment ou de tempérament, et, à vrai dire, rien ne peint mieux ces nuances morales qu’un mot attribué par Lamartine à Béranger. Un jour, Lamartine, revenu des illusions de 1848, et Béranger, revenu de toute chose, s’entretenaient de 1830, du rôle des hommes et des partis dans cette révolution, et l’auteur des Méditations disait à l’auteur du Dieu des bonnes gens que lui, le chansonnier libéral, que tous les hommes de 1830 avec lui, avaient eu tort de faire un roi d’usurpation en brisant ou en abaissant la monarchie, que, puisqu’ils ne croyaient pas la république possible encore, ils devaient, en sauvegardant la victoire populaire de juillet sur la royauté, « couronner l’héritier légitime dans la personne d’un enfant innocent du règne. » Béranger, penchant sa lourde tête, répondait, non sans finesse : « Peut-être avez-vous raison ; mais, moi, je n’avais pas tort. Vous étiez Lamartine, j’étais Béranger. »

C’est là tout le secret. Lamartine n’était pas Béranger, il était Lamartine ; il n’était pas de cette génération qui avait fait 1830, qui avait trouvé le couronnement de ses vœux et de ses espérances dans cette monarchie nouvelle fondée sur une acclamation populaire. Il ne pensait pas, il ne sentait pas comme elle. Cette génération née ou élevée sous l’empire, jetée tout à coup sur la scène en 1815, formée aux luttes libérales de la restauration, arrivée au pouvoir en 1830, cette génération, une des plus intelligentes qui aient paru, avait des traditions, des opinions, un but précis, qu’elle se définissait clairement à elle-même, et qui lui traçaient en quelque sorte une sphère d’action politique. Elle a pu ne point réussir définitivement dans son œuvre, elle savait du moins ce qu’elle voulait. Lamartine, lui, avait des traditions différentes, des opinions vagues comme ses instincts, et quant à un but, s’il en avait un, il se