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De la cathédrale, on trouva l’orgue, la célèbre horloge astronomique et l’autel détruits, la rosace, une merveille d’élégance, percée en plusieurs endroits, la plate-forme entamée, le clocheton du transept démoli. La nef s’effondra dans la journée du 27 août. La punition de l’Allemagne sera de ne pouvoir jamais réparer le mal qu’ont fait ses canons. Les cicatrices de la guerre resteront ineffaçables sur les flancs du noble édifice. Tous les voyageurs qui à l’avenir viendront de tous les points du monde visiter le monument le plus riche et le plus hardi de l’art gothique sauront quelles mains l’ont outragé, à quel peuple de l’Europe revient le triste honneur d’avoir mutilé en plein XIXe siècle un chef-d’œuvre que le temps, que la guerre et les révolutions avaient épargné jusqu’ici. Quel triste sujet de réflexions pour les artistes allemands, pour les admirateurs du moyen âge, si nombreux en Allemagne ! Qui donc, au-delà du Rhin, osera lire désormais sans une sorte de remords les pages touchantes de Poésie et Vérité où le grand Goethe parle, avec l’accent d’un souvenir ému, de l’agréable aspect des paysages de l’Alsace, de la douce vie qu’on mène à Strasbourg, des longues heures qu’il passait au pied de la cathédrale à en admirer les détails élégans et les proportions harmonieuses ? Cette terre aimée de sa jeunesse, cette patrie de Frédérique Brion, des mains allemandes l’ont ruinée et dévastée ; ce temple merveilleux qui, comme il le dit lui-même, lui avait révélé tous ses secrets, dont il complétait par la pensée les parties inachevées, dont ses yeux étudiaient avec amour les plus mystérieuses beautés, des boulets allemands viennent de le défigurer pour toujours !

Jusqu’au 28 août, le bombardement continua toutes les nuits avec la même fureur. Les incendies s’allumaient de tous côtés, et presque nulle part on ne pouvait les éteindre, parce que les artilleurs ennemis lançaient avec acharnement leurs projectiles sur le même point pour entretenir et activer le feu. L’hôpital civil ne fut même pas épargné malgré les trois drapeaux d’ambulance qui flottaient à une grande hauteur au-dessus des murailles. Un obus pénétra et éclata dans la salle des accouchées. On vît alors un spectacle horrible : les malades se traîner hors de leur lit pour fuir et des amputés eux-mêmes se rouler dans l’escalier pour se mettre à l’abri. Quelques jours auparavant, dans un pensionnat tenu par des religieuses, sept jeunes filles avaient été tuées, quatre avaient eu les jambes brisées par des éclats d’obus. Beaucoup de rues de la ville étaient jonchées de débris. Les toits pointus et chargés d’étages qui caractérisent l’architecture locale offraient aux canonniers ennemis un facile point de mire. De toutes parts, on voyait ces hautes charpentes fumer, s’affaisser et entraîner dans leur chute