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journée de Denain est du 24, on s’en souvient. L’effet que la nouvelle produisit à Versailles, on le connaît aussi. Ce fut un débordement de joie, dit Saint-Simon. Quant à l’effet produit à Utrecht, il fut foudroyant. Les Hollandais furent matés, les impériaux exaspérés, les Anglais enchantés ; ces derniers étaient fatigués des tracasseries de leurs adversaires. La colère du prince Eugène contre l’Angleterre dépassait toutes les bornes. Il écrivait au comte de Sinzendorf : « Les Français profitent de la conjoncture et n’ont pas tort ; mais les Anglais méritent bien la corde. » Eugène était de son côté l’objet de toutes les récriminations. Marlborough lui-même lui envoyait sa condamnation d’Aix-la-Chapelle[1].

Il y eut aussi des explications fâcheuses entre le prince Eugène et les Hollandais, qui voulaient bien être impériaux, mais à la condition de succès permanens pour la coalition et surtout à la condition de profits constans pour eux. Ils avaient pris à leur compte les troupes allemandes renvoyées par l’Angleterre le 17 juillet ; aujourd’hui le paiement de ces troupes les contrariait beaucoup. Ils avaient espéré mieux de l’entreprise sur Landrecies. « Je suis très informé, dit Eugène dans une de ses lettres, de la confusion qui a saisi les esprits en Hollande, et vous en devez être tant moins surpris que cela y arrive souvent, et qu’on n’y est jamais sans embarras. Tantôt on prend de fortes résolutions et tantôt on désespère de tout ; mais il est indispensable de se déterminer une fois, particulièrement à l’égard de l’entretien des troupes des alliés… On me parle si fortement de la part des troupes de Danemark, Saxe et Prusse, que cette affaire ne peut pas traîner ; j’y suis d’autant plus intéressé que j’ai contribué à leur persuader de nous suivre et de se séparer des Anglais, les assurant qu’on réglerait cette affaire et sans perdre un moment… Néanmoins les effets ne sont pas encore suivis ; en attendant, l’ardeur se ralentit dans l’armée, et il semble qu’on ne se soucie guère de perdre une place ou de la conserver… Je vous laisse considérer combien il est difficile de commander des armées dans une telle situation et de ne pouvoir remédier aux inconvéniens[2]. » On ne peut accuser plus vivement le désarroi où l’on était réduit. Cependant Eugène affectait l’assurance et la résolution. Il mandait au comte de Sinzendorf, sans doute pour qu’on montrât sa lettre à Utrecht, que, « si l’on agissait avec fermeté, on ferait trembler encore ces mêmes Français si fiers et leurs nouveaux amis, car le mauvais succès de cette campagne ne se devait pas attribuer à l’affaire de Denain, mais à cet esprit de crainte, et d’irrésolution qui règne dans la république, et qui s’est

  1. Voyez ses lettres dans l’Introduction de Grimoard à l’édition française des lettres de Bolingbroke.
  2. Arneth, II, p. 499-500. Archives de Vienne.