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pour aviser. Des collègues de M. de Rechteren voulurent excuser et pallier sa grossièreté ; ils désiraient qu’on regardât cette affaire comme une simple querelle de valets à valets, avouant néanmoins que Rechteren avait tort et qu’il était pris de vin, mais priant de n’en point écrire au roi et de n’en point porter plainte aux états-généraux. Les envoyés d’Angleterre s’entremirent dans la même intention.

Mais les plénipotentiaires français crurent devoir en référer à M. de Torcy, et lui dépêchèrent deux messages auxquels le ministre répondit : « L’excuse de la bouteille n’en est pas une en ce pays-ci, quoiqu’en d’autres on soit assez accoutumé à voir des excellences ivres. La décision du roi est que ses ministres suspendent toute négociation avec les Hollandais, à moins qu’elle ne soit précédée d’une satisfaction convenable. Vous direz donc aux plénipotentiaires d’Angleterre, car il convient que ce soit à eux seuls que vous rendiez une réponse, qu’il faut que les états-généraux s’expliquent sur la conduite du sieur de Rechteren ; qu’ils déclarent s’il a suivi leurs ordres dans la violence que ses domestiques ont commise et dans les discours qu’il a tenus lui-même, ou s’il a suivi seulement sa passion, S’il a obéi à ses maîtres, il n’y a plus de sûreté pour vous dans Utrecht ; s’il n’a point eu d’ordre, il faut que les états-généraux désavouent hautement et publiquement son indigne procédé. Le roi prétend de plus que le sieur de Rechteren soit rappelé, et qu’il soit nommé un autre plénipotentiaire à sa place. C’est l’unique réparation que l’on puisse admettre. La punition de quelques malheureux domestiques d’un plénipotentiaire d’Over-Yssel ne serait pas une satisfaction pour le roi. Vous n’en accepterez point d’autre que celle qu’il vous prescrit. »

L’affaire traîna quelques jours encore ; lord Bolingbrote invita les plénipotentiaires d’Angleterre à se concerter avec ceux de France pour la satisfaction qui devait être donnée par cet ivrogne de Rechteren, et ce dernier, voyant que la chance ne pouvait lui être favorable, se démit de son emploi, ce qui n’empêcha pas les états-généraux de désavouer sa conduite. Ils firent déclarer par leurs ministres d’Utrecht « qu’ils auraient souhaité que cette affaire n’eût point été portée devant sa majesté très chrétienne, mais que, cela étant fait, leurs hautes puissances se persuadaient que, quoiqu’elles eussent le malheur d’être en guerre avec elle, sa majesté leur ferait la justice de croire qu’elles n’avaient jamais perdu le respect et la haute estime qu’une république doit à un grand roi, et qu’elles auraient bien » du déplaisir que sa majesté eût d’autres pensées ; que, pour faire connaître leur désir et penchant pour l’avancement de la paix, le comte de Rechteren ne serait plus employé comme plénipotentiaire aux conférences qui se tiendraient