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c’était le produit de la laine que recherchaient surtout les éleveurs de la Grande-Bretagne. Lorsque l’on commença d’introduire en France les mérinos, le roi George III fit venir, à l’exemple de Louis XVI, des moutons espagnols qu’il établit sur ses propres domaines. Les premiers essais furent malheureux, les suivans réussirent ; mais en ce moment même les idées changeaient en Angleterre. « On commençait, dit M. Léonce de Lavergne[1], à pressentir l’importance du mouton comme animal de boucherie. Peu à peu cette tendance nouvelle a prévalu, la race espagnole a été abandonnée par ceux même qui l’avaient le plus vantée à l’origine, et aujourd’hui il n’existe plus de mérinos ou de métis-mérinos en Angleterre que chez quelques amateurs, comme objet de curiosité plutôt que de spéculation. » Les nouvelles races anglaises, les races de boucherie précoces, furent alors à peu près créées de toutes pièces. La plupart conviendraient parfaitement au renouvellement de nos troupeaux, et le succès a déjà suivi les expériences qui ont été faites dans nos provinces du nord, de l’ouest et du centre. Les agronomes les plus habiles et les plus prudens recommandent chaque jour de nouvelles tentatives plus complètes et plus générales. Notre agriculture reconnaît l’opportunité de ces conseils et travaille à les mettre en pratique. Il n’est donc pas hors de propos de faire une rapide revue des principales races anglaises.

La première et, selon nous, la plus importante est la race de dishley, créée par Bakewell dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. On a beaucoup écrit sur Bakewell[2] ; malheureusement lui-même n’a laissé ni mémoires ni notes d’aucune espèce. C’était un paysan qui ne se piquait point de littérature, au demeurant peu soucieux de dévoiler ses procédés. Il dut presque tout son succès, dit-on, à un don naturel, à une sorte d’instinct et d’intuition. C’est par la sélection appliquée à la vieille race de Leicester, toute composée de grands animaux efflanqués, d’ossature grossière, impropres à un engraissement quelconque avant l’âge de trois ans, qu’il parvint à produire ces moutons maintenant fameux, à la poitrine large et profonde, à la côte ronde, au quartier plein, à la fine ossature, qui arrivent à maturité avant ceux de toutes les autres races, et qui, livrés au boucher à dix-huit mois, donnent un poids de viande nette qui varie de 45 à 65 kilogrammes, alors que les mérinos français, après trois ans d’engraissement, ne fournissent pas plus de 30 kilogrammes. Depuis Bakewell, d’habiles éleveurs se sont appliqués à rendre la race de dishley plus parfaite, et l’on pourrait signaler

  1. Économie rurale de l’Angleterre, chap. II.
  2. Voyez notamment les travaux de M. Dickson dans le Journal de la Société royal d’agriculture d’Angleterre.