Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/758

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il avait trouvé des gardes mobiles de Lot-et-Garonne à Épernon, entre Versailles et Chartres. D’un autre côté, on le sait, des engagemens ont eu lieu vers Orléans. M. Estancelin, l’énergique organisateur, le commandant supérieur des gardes nationales mobilisées de la Normandie, a été, dit-on, vu à Mantes. Il résulterait de tout ceci que les Prussiens n’ont point certainement autour d’eux ou devant eux autant d’espace libre qu’on l’aurait cru, que des détachemens de nos armées de secours ne sont plus bien loin, que ces armées se rapprochent sans doute d’heure en heure, et cette activité des provinces qu’on entrevoit, qu’on sent en quelque sorte, un membre du gouvernement, M. Gambetta lui-même, s’est chargé d’aller la stimuler encore plus ou la régulariser en prenant la route la plus libre que nous ayons à notre disposition pour le moment, le chemin des airs. Le jeune ministre de l’intérieur, parti en ballon, est descendu dans le département de la Somme, non sans courir quelques aventures, mais heureusement sain et sauf, et il a pu se diriger sur Tours, portant avec lui la pensée du gouvernement, sans doute aussi le secret des combinaisons qui doivent lier les opérations de nos armées. C’est là en réalité le fruit de la constance patriotique de Paris. Sans cette fermeté, rien n’était possible, la fable du géant enchaîné par les membres et impuissant dans sa force pouvait rester vraie jusqu’au bout. À la faveur de cette virile défense qu’un mois d’efforts et de luttes n’a point certainement épuisée, la France a pu se lever, et elle peut toujours discipliner, pousser en avant ses bataillons accourus au secours du drapeau commun. Militairement tout est changé, si bien qu’aujourd’hui, à la rigueur, la résistance est d’abord dans Paris sans doute, mais elle n’est plus seulement dans Paris, elle est partout où il y a un soldat, un volontaire et une pensée de dévoûment national.

M. de Bismarck, nous le savons bien, s’est vanté de ne pas laisser à l’insurrection patriotique de la France le temps de s’organiser, d’aller au besoin étouffer cette insurrection dans son germe, c’est-à-dire dans le sang. Il prétendait récemment, dit-on, qu’il savait à quoi s’en tenir sur nos provinces, qu’il y avait des rassemblemens de gens en armes, non des armées. Ces « gens en armes » s’aguerriront bientôt, comme se sont aguerris, comme s’aguerrissent tous les jours ces gardes mobiles rassemblés à Paris. Ce sont de jeunes combattans aujourd’hui, ce seront de vieux soldats demain, et il faudra autre chose que des uhlans pour les réduire. Si l’armée prussienne se détourne de Paris pour aller se jeter sur les forces françaises qui s’organisent, elle sera suivie de près probablement, sans compter qu’on lui fera faire du chemin, et qu’on ne lui offrira pas cette fois l’occasion de faciles victoires en se livrant en pâture à des masses d’artillerie invisibles ; si elle reste obstinément fixée sous nos murs avec la pensée de nous fatiguer, de nous affamer, elle sera sûrement trompée dans ses calculs, elle peut être investie à son