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depuis le 19 septembre. Quelques semaines auparavant, le génie militaire, mis en éveil par nos récens revers, avait déjà paru sur l’enceinte et entamé avec la pioche ces talus gazonnés durcis par le temps, et que les hommes d’état si bien inspirés qui les avaient fait décréter n’auraient jamais cru devoir servir leur vie durant. Le travail allait lentement, les entrepreneurs qui l’avaient souscrit à prix fait prenaient leur temps : l’ennemi semblait encore si loin ! D’aucuns disaient que Paris ne résisterait pas, et que toute la peine qu’on se donnait était absolument inutile. D’autres se flattaient que la paix allait se faire, et comme après le désastre de Sedan il semblait que la guerre ne fût plus possible, puisque le principal auteur de cette malheureuse lutte avait été fait prisonnier, on craignait, en mettant en état de défense les fortifications de Paris, de dépenser beaucoup d’argent en pure perte. Nos gouvernans oubliaient à plaisir l’axiome latin qui recommande de préparer la guerre quand on veut la paix, et ils se berçaient de l’idée que la paix serait faite. Ils ignoraient que l’audace du vainqueur n’avait pas de bornes, et ne comptaient pas sur le voyage sans résultat de Ferrières. Tout a changé depuis que l’ennemi nous a dicté des conditions inacceptables, et les remparts sont encore aujourd’hui couverts de terrassiers, de maçons ; de charpentiers, d’ouvriers de toute sorte ; mais tant a été grande l’animation, tant a été vif l’entraînement de tous, que l’œuvre est à peu près partout achevée, et que la toilette du rempart est finie. L’ennemi maintenant peut venir battre nos murailles : nos canons, nos mortiers, nos mitrailleuses, tous nos obusiers sont en place[1]. Les parapets sont armés de sacs à terre disposés en créneaux ; les abris, les poudrières, la voie ferrée militaire, les ambulances, les barricades, sont installés ; les affûts sont protégés par des gabions et des tonneaux bourrés de sable sur lesquels viendront s’amortir les obus ennemis. Le bois de Boulogne a été impitoyablement coupé sur une grande étendue tout le long du rempart de Passy et d’Auteuil ; mais on a laissé en terre tous les troncs, qui ont été effilés par le haut, et çà et là réunis par de gros fils de fer formant avec les abatis autant d’obstacles pour les assiégeans.

A nos portes, toutes armées de ponts-levis et gardées par de rigides et inflexibles portiers-consignes, sont établis des

  1. L’armement complet de nos forts et de nos remparts (non compris l’artillerie de réserve) suppose au moins dix-huit cents ou deux mille bouches à feu, dont mille pour l’enceinte, — environ dix par bastion. Toutes ces pièces peuvent d’ailleurs se déplacer facilement et être portées en grand nombre vers les points qui seront les plus menacés par le feu de l’ennemi.