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l’Expiation. C’est par des traits de cette fierté que Victor Hugo se venge noblement. Plus la pensée est élevée dans cette superbe composition, plus il accable celui qu’il déteste. Quand les coups partent de si haut, ils ressemblent à la foudre et frappent bien plus sûrement que les fureurs d’une muse qui s’oublie ; alors la colère du poète a quelque chose de la majesté du destin.

Napoléon Ier, tout glorieux qu’est son nom, a commis un attentat contre les lois le 18 brumaire, et l’auteur suit dans la carrière du capitaine la progression des peines qu’il supporte. C’est d’abord la retraite de Russie et « l’immense armée trouvant dans la neige un immense linceul. » L’empereur est frappé pour la première fois

Il était comme un arbre en proie à la cognée.
Sur ce géant, grandeur jusqu’alors épargnée,
Le malheur, bûcheron sinistre, était monté,
Et lui, chêne vivant, par la hache insulté,
Tressaillant sous le spectre aux lugubres revanches,
Il regardait tomber autour de lui ses branches.

La douleur est poignante, le malheur sans limites ; ce n’est pourtant pas le châtiment de l’attentat. Le poète nous transporte ensuite dans la funeste plaine de Waterloo. La victoire s’est changée en désastre. On attendait Grouchy, et c’est Blücher qui apparaît. La mêlée s’est changée en un gouffre flamboyant où l’armée, où la garde, dernier espoir, est dévorée.

Ils allaient l’arme au bras, front haut, graves, stoïques.
Pas un ne recula. Dormez, morts héroïques !
Le reste de l’armée hésitait sur leurs corps
Et regardait mourir la garde. — C’est alors
Qu’élevant tout à coup sa voix désespérée,
La Déroute, géante à la face effarée,
Qui, pâle, épouvantant les plus fiers bataillons,
Changeant subitement les drapeaux en haillons,
A de certains momens, spectre fait de fumées,
Se lève grandissante au milieu des armées,
La Déroute apparut au soldat qui s’émeut,
Et, se tordant les bras, cria : Sauve qui peut !
Sauve qui peut ! affront ! Horreur ! toutes les bouches
Criaient ; à travers champs, fous, éperdus, farouches,
Comme si quelque souffle avait passé sur eux,
Parmi les lourds caissons et les fourgons poudreux,
Roulant dans les fossés, se cachant dans les seigles,
Jetant schakos, manteaux, fusils, jetant les aigles,
Sous les sabres prussiens, ces vétérans, ô deuil !
Tremblaient, hurlaient, pleuraient, couraient ! — En un clin d’œil,
Comme s’envole au vent une paille enflammée,
S’évanouit ce bruit qui fut la grande armée,
Et cette plaine, hélas ! où l’on rêve aujourd’hui,
Vit fuir ceux devant qui l’univers avait fui !