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nal anglais qui nous prévenait si charitablement l’autre jour que nos statues et nos tableaux ne nous préserveraient pas du feu, ce journal, qui est en vérité quelquefois mieux inspiré, le Saturday Review, pouvait se dispenser de ses leçons de philosophie. On fera ce qu’on voudra. Ce n’est pas avec nous, c’est avec la civilisation et l’humanité pensante que les démolisseurs auraient à compter, s’ils pouvaient aller jusqu’au bout de leur bonne volonté de destruction. On croyait au moins, et on l’annonçait avec confiance, que Paris ne passerait pas huit jours sans sombrer dans la guerre civile, que la république enfanterait des discordes, que la ville tomberait d’elle-même, déchirée et meurtrie, aux pieds de son vainqueur. La guerre civile n’a point éclaté du tout ; jamais peut-être il n’y a eu plus d’ordre dans l’éclipse de toutes les lois ordinaires, et s’il y a eu, s’il y a encore d’assez pauvres fanatiques essayant de faire des propagandes agitatrices, ils sont aussitôt submergés dans la patriotique unanimité de la population. On n’a qu’un mot à dire pour les ruiner : ils sont les complices volontaires ou involontaires de l’ennemi. On brûle leurs journaux sur la place publique sans que le gouvernement s’en mêle. Les étrangers se sont moqués souvent de nos fausses espérances et de nos fausses nouvelles. Si les circonstances étaient un peu moins sérieuses, nous pourrions rire à notre tour de ces Prussiens montant sur les hauteurs voisines pour voir de loin la terrible bataille engagée dans Paris, au dire des dépêches expédiées à Berlin. Toutes ces prévisions ont été trompées. Paris tient et tiendra jusqu’à la dernière extrémité ; il tient simplement, virilement, calme, uni, patriote, raffermi par l’outrage d’une implacable agression. Voilà ce que Paris dit à la province sans pouvoir franchir encore les lignes prussiennes, par sa seule attitude, par l’immobilité à laquelle il contraint les armées allemandes ; mais dans les provinces françaises elles-mêmes que se passe-t-il aujourd’hui ?

Ici l’obscurité recommence pour nous, ou plutôt cette obscurité se déchire de temps à autre pour nous laisser entrevoir une certaine confusion, un certain mélange d’incidens douloureux et de faits à demi rassurans, des incursions nouvelles de l’ennemi, et quelques combats honorables, des villes qui résistent avec vaillance comme Châteaudun et d’autres villes envahies. Enfin à travers ce réseau qui nous enveloppe, il y a à certains momens des fissures qui laissent passer quelque éclair, qui maintiennent malgré tout le courant électrique entre toutes les parties de la nation. Le général Bourbaki, s’échappant de Metz, est arrivé à Tours, et il est aujourd’hui, dans le nord de la France, une des épées de la défense nationale qui s’organise ; chaque jour, des levées s’opèrent, des armées se forment, on nous le dit, nous le pensons. Que l’une de ces armées soit déjà prête dans l’est, il le faut bien, puisqu’une avant-garde s’est récemment battue vers Saint-Dié, et, si une bonne fois cette armée