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former une opinion sur la conduite du commandant en chef de l’armée du Rhin, elle ne lui tenait pas le compte le plus honorable de cette lutte opiniâtre contre un ennemi mieux armé que nous et toujours supérieur en nombre. Le maréchal Bazaine n’a-t-il pas bien mérité de son pays en retenant loin de Paris 300,000 hommes d’abord, plus tard 220,000, qui, sans lui, auraient marché sur nous, quand nous n’étions pas encore en mesure de nous défendre ? Quelle serait aujourd’hui la situation de la France, si la Prusse avait pu disposer plus tôt, contre la capitale, de l’armée et du génie militaire du prince Frédéric-Charles ? Mais ce qui diminue singulièrement le mérite du service que nous a rendu le maréchal Bazaine, c’est que sa tactique nous coûte à la fois une capitulation désastreuse et notre première place forte, celle de toutes qu’il nous importait le plus de garder, parce que c’est celle que l’ennemi désirait le plus. Si l’armée du Rhin, au lieu de s’enfermer dans Metz et de n’en plus sortir, avait tenu la campagne à n’importe quel prix, elle n’aurait ni capitulé ni fait prendre la ville, qui aujourd’hui encore renfermerait des vivres pour plusieurs mois de siège. Les situations terribles exigent des efforts héroïques. C’est un de ces efforts qui aurait dû être tenté, que nous attendions de nos généraux le lendemain du désastre de Sedan.

On nous permettra sur ce point de dire toute notre pensée, sans vain étalage d’héroïsme, mais avec un sentiment profond des devoirs qu’impose à certains jours l’honneur du pays. Au lieu de se livrer à des combinaisons politiques, d’engager des négociations équivoques, de se réserver peut-être pour un grand rôle personnel, de laisser l’armée s’énerver et se désorganiser, ne valait-il pas mieux, le jour où l’on connut la capitulation du 2 septembre, ne s’inspirer que du devoir militaire, et ne prendre conseil que de ce beau désespoir dont parle Corneille ? Une catastrophe sans exemple dans notre histoire venait d’humilier la France ; pour la première fois 100,000 Français en armes venaient de capituler dans un pays où jusqu’ici il’ a toujours paru plus facile de mourir que de se rendre. C’était à l’armée du Rhin, à l’élite de nos soldats et de nos généraux, qu’il appartenait de laver cette honte dans son sang. Il nous semble que, quelles que pussent être les défaillances individuelles, on aurait remué tous les cœurs, si on avait réuni les officiers pour leur dire : C’est assez d’une capitulation de ce genre dans notre histoire, il n’y en aura pas deux ; nous ne donnerons pas le nouveau spectacle d’une armée qui rend ses armes. Que dirait de nous l’Europe, que les Français ont tant de fois étonnée par leur courage ? Voulons-nous l’étonner maintenant par notre humiliation ? Non, nous n’irons point par milliers défiler devant nos