Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 90.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous disions tout à l’heure que le bohémien Zarca était un prince, un fondateur de dynastie, un législateur ; il faut ajouter à ces qualités celle de théologien. En effet, ne paraît-il pas versé dans la connaissance des dogmes ? ne condamne-t-il pas le catholicisme espagnol en aussi bons termes que pourrait le faire un ministre ayant pris ses grades à Oxford ? J’imagine que celui-ci ne s’exprimerait pas mieux sur la doctrine de la satisfaction. Luther ne parlait pas autrement quand il fulminait contre les indulgences, et Calvin argumentait ainsi contre les pénitences distribuées à la grille du confessionnal. On pourrait croire que des idées tout anglaises ont dominé l’esprit de George Eliot, et qu’il a mis dans la bouche de Zarca ses opinions protestantes. Ce serait une faute d’autant plus sérieuse au point de vue de l’art qu’il y aurait dans le personnage, dans le temps et le pays où il est placé, un triple anachronisme ; mais il n’en est pas ainsi. Zarca n’est pas protestant ; il est tout au plus libre penseur, et en qualité de bohémien, sans foi ni religion, il peut sans trop d’invraisemblance tenir le langage que lui prête l’auteur. Son instruction dépasse la mesure de ce que nous aurions supposé dans un homme de cette race ; on aurait tort cependant de le prendre pour un anglican ou un puritain. Je dirai plus : l’ouvrage tout entier prouve que l’auteur n’appartient pas à une secte. Une tolérance universelle en est l’inspiration suprême, et s’il y a dans la Zingara espagnole quelque trace trop visible de l’esprit britannique, c’est l’écho perpétuel des querelles religieuses. On ne saurait pourtant accuser George Eliot d’avoir été injuste envers une conviction quelconque. L’inquisiteur lui-même, quel que soit son fanatisme à l’égard des infidèles, est représenté comme un homme de bonne foi. L’auteur est équitable envers lui comme envers le bohémien.

N’allez pas croire non plus qu’il favorise l’athéisme de ce dernier, parce qu’il lui donne le courage et la noblesse d’âme. Il n’y a pas de système dans cette œuvre, et la seule conclusion religieuse qu’on en pourrait tirer, c’est que l’honneur nous commande de rester attachés à la foi de nos pères. Zarca est la vertu parce que don Silva est le vice ; la logique de l’art le veut ainsi, et la morale s’accorde ici avec la logique. Le chrétien a succombé ; il faut qu’il se relève par le renoncement et l’humiliation. Zarca au dénoûment est frappé à mort par don Silva ; c’est une expiation du supplice de l’inquisiteur contre lequel le bohémien a prononcé la peine du talion. En mourant, Zarca fait grâce à son meurtrier ; mais celui-ci ne jouira pas du fruit de sa vengeance. Fedalma lui dit un adieu éternel, et il s’achemine vers Rome, où il implorera le pardon de son apostasie. Ainsi la balance est égale entre les religions