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conversation et l’exemple. Nous ignorons ce que valait en temps ordinaire la discipline de nos troupes. Plusieurs officiers nous assurent que, sous l’empire, un grand relâchement s’était produit dans les mœurs de l’armée comme dans les mœurs du pays. Quelques-uns affirment aussi que le laisser-aller contracté dans les dernières guerres a peu à peu détruit ce qui restait de l’ancien respect des règlemens. On croit enfin, avec raison ce semble, que cette désinvolture débraillée, ce chic des zouaves mis à la mode depuis Sébastopol, ont insensiblement gagné les autres corps et y ont effacé la vraie notion des devoirs du soldat. En ce sens, les victoires mêmes de l’empire auraient été nuisibles. La persuasion que, pour vaincre, il suffit d’un furieux élan et d’une charge à la baïonnette aurait fait oublier le grand principe de l’obéissance aux ordres donnés. Quoi qu’il en soit, les troupes dont se composait l’armée de Paris au commencement du siège, recrues mêlées en hâte à quelques débris de vieux régimens, n’étaient pas faites pour servir de modèle aux milices sans expérience qui se formaient au métier des armes. A coup sûr, ces mêmes troupes, aujourd’hui réorganisées, sont bien différentes de ce qu’elles étaient à Châtillon, elles le prouvent en ce moment même ; mais l’esprit qui les animait alors n’en a pas moins produit des effets regrettables. Très souvent ces soldats ont donné l’exemple du mépris des consignes, de la négligence dans les parties les plus importantes du service et du manque de respect pour les supérieurs. Joignez maintenant à tout cela les folles imaginations qui ont été répandues dans la foule par quelques journaux ou par des orateurs de club sur les prodigieux résultats des sorties en masse. Il eût suffi, à les en croire, que tout ce qui habitait Paris, hommes, femmes, enfans, vieillards, se ruât sur les lignes prussiennes pour anéantir d’un seul coup les plans militaires de M. de Moltke. Ces discours chimériques, auxquels on mêlait fort mal à propos le souvenir des armées de la convention et des volontaires en sabots de 1792, n’ont que trop vivement agi sur la naïveté populaire. Souvent on fut porté à faire bon marché d’une discipline incommode, parce qu’on voyait en pensée les armées ennemies s’évanouir devant la seule majesté de la république.

En résumé, dès le milieu d’octobre le gouvernement de la défense nationale disposait à Paris d’une milice de 300,000 hommes qui déployait, à tout prendre, un ensemble de qualités inespérées ; mais ces qualités se trouvaient et se trouvent encore aujourd’hui balancées par de grands vices. La masse de citoyens destinée à former une armée était dépourvue de bons officiers, en partie ruinée par des habitudes d’ivrognerie, en partie minée par l’esprit d’indiscipline. De plus, par un oubli qui ne peut s’expliquer, on avait négligé, malgré les réclamations les plus vives, de faire le triage nécessaire des hommes jeunes et vigoureux, qui seraient appelés sans doute à sortir des retranchemens, et des pères de famille, auxquels devait être laissé le service de l’ordre public et de la