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dans la ruse comme dans tous les excès de la force, et s’il y a dans ce siècle un homme d’état qui ait professé ou pratiqué avec une imperturbable audace la politique de la souveraineté du but, c’est bien lui. Rien ne l’émeut, rien ne l’arrête, et quand il parle de la destruction sociale de la France, c’est qu’il y travaille avec une dextérité dont le succès apparent ou momentané a pu lui causer quelque enivrement. Il ne réussira pas, nous le croyons bien ; il n’est pas moins vrai qu’il aura fait ce qu’il aura pu, et que depuis trois mois il pratique sur la plus grande échelle un système de duplicité et de mystification qui restera comme un des phénomènes les plus caractéristiques dans ces sanglans événemens. Ah ! M. de Bismarck a su tirer des merveilles de l’investissement de Paris. Maître de nos communications, il ne nous laisse arriver que ce qu’il veut, ce qui peut le servir. De temps à autre, comme pour irriter notre curiosité, il nous laisse passer quelques journaux, jamais des journaux de nos départemens, presque toujours des journaux étrangers en général peu favorables, souvent de date arriérée et habilement choisis pour nous troubler ou pour nous ôter l’espérance. C’est ainsi que nous avons eu tant de récits sur nos défaites, sur les capitulations de nos places, sur les agitations de nos grandes villes. Que de fois Paris n’a-t-il pas eu à se raffermir, à se cuirasser contre les impressions énervantes laissées par ces informations suspectes ! Ce qui est certain et ce qui serait bien étrange, si c’était simplement l’œuvre du hasard, c’est que nous avons eu de cette façon toutes les mauvaises nouvelles et pas une bonne. D’un autre côté, on ne néglige rien pour alarmer la province sur l’état de Paris, qu’on représente tantôt comme livré à l’anarchie, tantôt comme épuisé de courage et tout prêt à se rendre au premier jour. Croit-on que cette tactique ait été sans influence à Metz ? Est-ce qu’on n’a pas dit à cette malheureuse armée que l’anarchie était arrivée à un tel point que nous en étions à invoquer le secours des soldats prussiens pour rétablir l’ordre ? Depuis trois mois, M. de Bismarck trompe Paris sur nos provinces, il trompe nos provinces sur Paris, et par cette double et artificieuse falsification il trompe l’Europe sur la France, qu’il se plaît à représenter comme menacée de dissolution et n’aspirant qu’à secouer le gouvernement révolutionnaire de Paris pour faire la paix avec lui. Nous comprenons que M. de Bismarck n’aime pas les ballons et qu’il fulmine des menaces contre eux ; ce sont les trouble-fêtes de son système, ce sont nos seuls messagers chargés d’aller porter de nos nouvelles, de dissiper les fantasmagories, comme les pigeons sont les seuls messagers des bonnes nouvelles qui nous sont arrivées quelquefois de province. On ne songe pas à tout, c’est là le point vulnérable de cet hermétique investissement, la fissure à travers laquelle passe de temps à autre un rayon de vérité.

La vérité est que l’invasion prussienne, comme toutes les invasions, est bien obligée de ne pas se borner à l’emploi de tous les subterfuges