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ne serait pas complète. Luc, car il ne donne plus d’autre nom au roi prussien, Luc lui semble abattu ; il veut qu’on l’écrase, et offre de parier trois contre un que Luc sera perdu avec ses vers et ses plaisanteries et ses injures et sa politique, tout cela étant également mauvais. Voltaire se trompait non sur les vers, mais sur la politique de ce prince ; il se trompait avec la France, qui, n’écoutant pas assez ses intérêts, avait soutenu jusqu’au bout la Prusse quand il fallait se rapprocher de l’Autriche, et maintenant soutenait jusqu’au bout l’Autriche quand il était grand temps de se tourner du côté de la Prusse. Honneur cependant à Voltaire pour avoir été citoyen plus encore que philosophe, pour avoir poussé son devoir de Français jusqu’à une courageuse inconséquence !

La guerre de sept ans interrompit brusquement ces agréables rêves de paix perpétuelle : le fait brutal imposa silence à la philosophie. Pendant que celle-ci aimait à se figurer les nations signant la paix du genre humain, au fond des marais et des sables de Brandebourg une famille obscure, une maison de soldats parvenus, rois seulement de la veille, produisait un prince qui battait nos généraux et se moquait d’eux. Quel triste démenti donné aux utopies philosophiques, et combien d’autres devaient les suivie pour nous de plus en plus cruels ! La France amoindrie, abaissée, raillée, voilà le premier fruit de ces belles idées, qui n’avaient fait que détourner l’esprit français du métier des armes ! Faut-il donc que notre nation, après avoir répudié, expié les actes de ses despotes, répudie, expie encore les paroles de ses philosophes, qu’elle souffre pour avoir fait la guerre, et qu’elle soit punie pour avoir voulu la paix, pour avoir prêté l’oreille à ces théories généreuses auxquelles son cœur est toujours prompt à s’attacher ? Ces théories mêmes en effet se retournent contre elle. Plus confiante encore dans ses intentions que dans ses forces, elle se laisse alors surprendre, et la bataille la trouve désarmée : elle écoute ses poètes quand elle devrait fondre des canons.

La seconde moitié du XVIIIe siècle ne fournit pas de successeurs aux avocats de la paix perpétuelle. A la révolte des colonies anglaises d’Amérique, la nation française se réveilla tout enflammée de l’esprit guerrier. La liberté y était pour beaucoup ; les rancunes contre l’Angleterre firent le reste. Qu’étaient devenus les beaux projets de l’abbé de Saint-Pierre et de Rousseau ? Leurs disciples les mettaient. en oubli, ou plutôt de leurs livres ingénus, dignes de l’âge d’or, ils faisaient des cartouches. De nouveau la France sacrifiait au génie de la guerre, entraînée cette fois, non plus par les projets ambitieux d’un gouvernement, mais par sa propre volonté et sous l’impulsion d’un sentiment national. La révolution de 1789 ne fut pas longtemps étrangère à l’ardeur des combats, et dès la première