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LA RÉUNION DE L’ALSACE.

situation des choses. C’était le jour de Pâques de l’année 1645 ; des flots de sang coulaient encore sur les champs de bataille, et la détresse des impériaux était extrême. M. de Volmar, envoyé de l’empereur, alla de grand matin faire ses dévotions à l’église des capucins de Munster. Il était à genoux près de l’autel, lorsque le comte d’Avaux parut avec la même intention et s’agenouilla de l’autre côté de l’autel. Volmar se leva et salua le comte, qui lui rendit son salut et lui souhaita poliment en français un heureux jour de Pâques. « Puisque nous nous trouvons ici, répondit M. de Volmar en latin, en ce jour consacré à l’ange de la paix, efforçons-nous d’en assurer l’esprit dans nos conférences. » À quoi le comte d’Avaux répliqua également en latin et en montrant le saint ciboire : « J’atteste Dieu que je n’ai pas d’autre intention, et certainement vous recevrez cette semaine nos propositions. » Et M. de Volmar reprit : « Que Dieu en soit témoin, et que la paix descende parmi nous. » C’était l’Autriche qui demandait la paix à la France. Les deux plénipotentiaires échangèrent un serrement de mains, et se séparèrent dans les meilleurs sentimens. Mazarin était alors l’artisan principal de la grande œuvre, et l’on a vu comment et pourquoi la France se tenait à l’expectative, tout en désirant la pacification. Ses plénipotentiaires à Munster étaient les deux plus renommés diplomates, Abel Servien et le comte d’Avaux, présidés par un prince habile aussi et surtout magnifique, le duc de Longueville.

Ce qu’on appelait l’empire était plus pressé d’avoir la paix, et ne le dissimulait pas. La maison d’Autriche, sous prétexte d’empêcher d’abord, puis de limiter l’élan de la réforme religieuse, avait profondément altéré la constitution germanique, et avait essayé de lui substituer le système de la monarchie pure et absolue. La vieille Allemagne avait, dans sa liberté, fondé, organisé cette constitution pour se défendre à la fois contre les papes et contre les empereurs. Il était d’un intérêt européen de soutenir les efforts que faisait l’Allemagne pour recouvrer sa libre constitution. L’Allemagne voulait en outre assurer sur son territoire la liberté religieuse, en régler définitivement l’exercice, et rompre à cet égard avec les vieilles traditions. Elle s’accordait avec la France dans ces aspirations, et la puissance redoutable des Provinces-Unies, récemment délivrées du joug espagnol, était pour elle d’un appoint considérable dans la balance des forces et des intérêts ; mais le chef de l’empire, comprenant bien que la paix devait se faire à ses dépens, avait paru moins pressée d’y souscrire. À l’occident, il était battu et humilié par la France, qui occupait ses possessions de famille. Au nord, les Suédois le menaçaient jusque dans la Bohême ; la Silésie, la Moravie, étaient envahies. À l’orient, Ragotzki, soutenu par la France, inquiétait la Hongrie, et au centre de l’empire les princes protestans l’auraient