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Trochu toutes les facilités apparentes pour envoyer un officier chargé de vérifier l’exactitude des faits. Nous savons malheureusement ce que valent ces missions, on l’a vu par ces officiers envoyés de Metz à Versailles. Ils ont été entourés par les états-majors prussiens, ils ont été obligés de suivre l’itinéraire qu’on leur a tracé, ils n’ont vu que ce qu’on leur a laissé voir et ils sont revenus à Metz avec la certitude que la France entière était plongée dans l’anarchie, qu’il n’y avait plus rien à espérer. Le général Trochu a refusé avec autant de dignité que de raison de se prêter à ces jongleries dissimulées sous un sauf-conduit.

La démarche de M. de Moltke a été d’ailleurs, il faut le dire, singulièrement compromise par un nouvel exploit de la tactique prussienne. Il y a quelque temps, quelques-uns de nos malheureux pigeons sont tombés entre les mains des Allemands, ceux-ci viennent de nous les renvoyer avec toute sorte de nouvelles plus surprenantes les unes que les autres, et toutes faites naturellement pour décourager Paris. Cette fois ce n’est plus seulement Orléans qui est repris, Rouen s’est « donné, » Cherbourg est menacé, Bourges et Tours sont en péril, M. Gambetta est en fuite, les populations rurales « acclament » les Prussiens. Bref, tout est fini pour la France. Pour le coup, la tactique prussienne s’est trop hardiment démasquée. Si les choses vont ainsi, si elles marchent si bien au gré des chefs allemands, pourquoi prend-on tant de moyens pour nous tromper ? M. de Moltke avait une occasion toute naturelle de laisser la vérité arriver jusqu’à nous ; il vient de nous livrer dans un échange de prisonniers quatre officiers de l’armée de la Loire pris dans les premiers combats livrés autour d’Orléans le 2 décembre, pourquoi ne nous a-t-il pas livré des officiers pris dans ces combats du 4 décembre, qu’il appelle notre défaite ? Pourquoi, au lieu de recourir à ces subterfuges trop visibles, ne pas laisser arriver tout simplement jusqu’à nous les journaux de nos provinces ? Non, ce système de tromperie qu’on prend à chaque instant en flagrant délit n’est digne ni de la force qui se respecte, ni d’une grande puissance sûre d’elle-même ; il prouverait plutôt par ce redoublement d’efforts que les Allemands se sentent de jour en jour engagés dans une route obscure dont ils ne voient plus l’issue, et M. de Bismarck lui-même commence peut-être à s’apercevoir qu’il a manqué l’occasion de faire la paix lorsqu’elle était possible. Sans doute il est facile de répéter sans cesse, comme on le disait encore récemment devant le parlement fédéral de Berlin, qu’il n’y a plus moyen de revenir en arrière, que les Français ne pardonneront jamais à l’Allemagne leurs derniers désastres, que dès lors il faut tirer de la guerre actuelle toutes les garanties, tout le prix qu’on en peut tirer ; c’est un argument commode pour se tranquilliser la conscience. Cela dit, on ne se refuse rien. On pousse la violence jusqu’aux dernières limites, c’est-à-dire qu’on fait tout ce qu’il faut pour exciter précisément dans l’âme de la