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service de la France libérale, était venu montrer l’exemple à la génération nouvelle, et mourir de fatigue après une nuit au rempart. Ne voudrez-vous pas consacrer aussi quelques lignes au souvenir d’une autre victime de la même cause, d’un jeune homme dont la fin prématurée a répandu, la semaine dernière, une douloureuse émotion dans l’armée et dans ce qui reste à Paris de ce que l’on appelait autrefois la société parisienne ?

Vous connaissiez sans doute le commandant Franchetti. Peu d’hommes avaient autant de raisons de tenir à la vie. Beau comme un héros de roman, admirable cavalier, nature ouverte, loyale et gaie, il avait connu dans sa première jeunesse les plaisirs de la bataille et des hardies chevauchées ; officier de spahis, il s’était distingué en Algérie et en Italie. Un peu plus tard, il avait quitté le service, et il avait trouvé dans une famille d’élite, auprès d’une femme et d’une fille qu’il adorait, un bonheur qui semblait à l’abri de toute atteinte. La richesse même ne lui faisait pas d’envieux ; il semblait né pour être heureux et aimé. Cependant, après nos premiers désastres, dès qu’il vit Paris menacé, il n’hésita pas un instant ; il se sépara, pour se sentir le cœur plus ferme, de sa femme et de sa fille ; quand il eut mis en sûreté ces têtes chéries, il présenta aussitôt au général Trochu le plan de cette troupe des Eclaireurs de la Seine qui a été si vite populaire. Ce fut lui qui choisit les hommes de son escadron, qui réussit à introduire parmi eux ces habitudes de discipline qu’il est toujours plus difficile d’imposer aux corps francs ; à leur tête, dès les premiers jours de l’investissement, il se mesura avec la cavalerie prussienne, et dans toutes les actions qui se sont engagées depuis lors, officiers et soldats de son escadron se sont toujours montrés au plus épais du feu. A Champigny, Franchetti a été frappé au moment où il quittait le général Ducrot ; quand la nouvelle de sa blessure s’est répandue dans Paris, personne ne voulait croire qu’elle fût mortelle, tant on désirait qu’il fût épargné, tant cet homme de trente-sept ans semblait avoir fait un pacte avec la santé, la force et la vie. Les médecins pourtant n’avaient pas d’espoir, et lui-même ne s’était pas fait un instant illusion. Il mourut comme il avait vécu, en souriant à ceux qui l’entouraient.

Ce fut le 7 décembre que nous le conduisîmes à sa dernière demeure. Ceux qui ont assisté à cette cérémonie ne l’oublieront pas. Au Grand-Hôtel où il avait succombé, sur le boulevard où tous s’arrêtaient et se découvraient, c’était la pompe ordinaire des enterremens militaires, et cette foule qui se presse derrière le char de quiconque a une certaine situation dans le monde parisien ; mais au cimetière, dans la partie réservée aux israélites, où l’on n’a fait entrer que les amis de la famille, que les officiers de toute l’armée et les soldats du corps des éclaireurs, la scène prend un caractère vraiment saisissant. De sourds roulemens de