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insolent de Coblentz ! Le 29 septembre, il fallut cependant se décider à partir ; à minuit, sur une terre détrempée où les hommes glissaient à chaque pas, où les roues des canons s’enfonçaient dans la boue, les troupes allemandes se mirent en marche, laissant derrière elles des milliers de malades hors d’état de les suivre, semant sur leur route la plus grande partie de leurs bagages, que les chevaux épuisés ne pouvaient plus traîner. On s’est souvent étonné que Dumouriez n’ait pas poursuivi l’armée ennemie pendant qu’elle battait en retraite ; on a même attribué son inaction à une sorte de traité qu’il aurait conclu avec le duc de Brunswick. Le récit de Goethe fait supposer en effet que des négociations s’engagèrent entre les généraux des deux armées. Un armistice signé le 24 septembre, et pendant lequel il était convenu que les avant-postes s’abstiendraient de toute hostilité, paraît avoir été suivi d’une convention tacite qui permit aux coalisés d’opérer leur retraite sans être inquiétés, à la condition qu’ils abandonneraient les deux places fortes de Longwy et de Verdun, conquises par eux au commencement de la campagne. Pendant l’armistice, les Français, sans doute par ordre de leurs chefs, témoignaient aux Allemands les dispositions les plus pacifiques, leur offraient des vivres, et leur distribuaient des brochures où on leur prêchait les bienfaits de la liberté et de l’égalité. Pendant toute la retraite, Goethe ne parle que d’une seule attaque, qui fut dirigée non point par les soldats de l’armée régulière, mais par des paysans contre l’état-major des émigrés, entre les Grandes et les Petites-Armoises. Dumouriez, qui songeait, comme le dit très justement M. Thiers, à de nouvelles opérations dans le nord, ne crut pas nécessaire de s’acharner à la poursuite d’une armée dont le mauvais temps et la maladie le délivraient sans combat. Il pensa probablement qu’il en avait fini avec elle, dès qu’il l’obligeait à quitter le territoire français et à ne garder aucune de ses conquêtes. Il est certain d’après le témoignage de Goethe que, s’il avait voulu l’anéantir, il l’aurait pu le jour même où la retraite commença. « Si l’ennemi nous surprenait en ce moment, écrivait le poète sur son carnet le 29 septembre, il n’échapperait ni un rayon de roue, ni un membre d’homme. »

N’étant pas poursuivis, les Prussiens se tirèrent de cette dangereuse position, mais au prix de quelles fatigues, de quelles privations, de quelles souffrances ! La pluie tombait à flots, les tentes étaient trempées ; après de longues journées de marche sur un sol glissant, on ne trouvait pour se coucher ni un brin de paille, ni un endroit sec ; rien que la terre humide et la boue épaisse de la Champage. Sur les routes défoncées, l’encombrement était tel, la crainte de rester en arrière si forte, que la masse des fugitifs marchait en