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elles avaient encore l’inconvénient de faire profiter du bénéfice de la vente à prix réduit les consommateurs riches ou aisés aussi bien que les pauvres. On a reproché cependant au gouvernement de ne les avoir point faites d’une main plus libérale. Sans aller jusqu’à forcer les particuliers à mettre en commun leurs provisions de ménage, sans supprimer non plus entièrement tout commerce de denrées alimentaires, le gouvernement aurait dû, disaient les partisans du juste milieu en matière de subsistances, réquisitionner un plus grand nombre de denrées de manière à pouvoir accroître et varier davantage ses distributions à prix réduit. Le ministre de l’agriculture et du commerce semblait d’abord assez disposé à s’engager dans cette voie, mais le résultat négatif de la mise en réquisition des pommes de terre l’a heureusement décidé à ne pas aller plus loin. En effet, vers la fin de novembre, il requérait les pommes de terre en donnant aux marchands un délai de cinq jours pour faire la déclaration des quantités dont ils étaient détenteurs. Le cinquième jour, les quantités déclarées s’élevaient à quatre boisseaux. Cela n’a pas empêché les pommes de terre de devenir presque introuvables à dater du jour de la réquisition, et le prix de ces précieux tubercules de s’élever de 100 pour 100. On les vendait 6 ou 8 francs le boisseau ; on en a exigé désormais 15 francs et davantage. La réquisition avait supprimé le marché régulier ; il n’était plus permis de mettre des pommes de terre en vente, on n’en pouvait plus offrir qu’en cachette. Comment le prix ne se serait-il pas élevé en raison composée de la diminution de la marchandise offerte et du risque de confiscation que courait le marchand. Le ministre de l’agriculture et du commerce a profité de la leçon, et il a cessé de réquisitionner. On lui a reproché encore de n’avoir pas eu recours au frein du maximum pour empêcher la hausse excessive des prix de tous les articles servant à l’alimentation, au lieu de se borner à tarifer le pain et la viande. Sans doute, en présence du monopole que l’interruption des communications conférait à tous les détenteurs de comestibles, d’épiceries, etc., le maximum n’avait rien d’illégitime en soi ; mais aucune mesure n’est plus difficile à appliquer et plus facile à éluder, l’exemple de la première révolution en fait foi. Il s’était créé alors, comme chacun sait, deux marchés, l’un public, dans lequel les marchands n’exposaient que ce qu’ils avaient de plus mauvais et en moindre quantité possible, l’autre clandestin, dans lequel les marchands vendaient ce qu’ils avaient de meilleur à prix libre[1]. Le même phénomène n’aurait pas manqué de se renouveler dans Paris assiégé. D’ailleurs l’élévation du prix des articles de seconde nécessité ou de simple comfort

  1. Thiers, Histoire de la révolution française, liv. XXIII.