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lue à nos croiseurs, et on verra tout à l’heure comment ils l’ont remplie ; mais un autre emploi leur avait été assigné, d’un effet bien plus sûr, d’une portée bien plus grande, et celui-là est resté à l’état de projet en faisant dans nos moyens d’action un vide irréparable. À côté de nos flottes de combat devait figurer une flotte de transports : des corps de débarquement évalués à 40,000 hommes allaient être jetés sur le littoral de la Mer du Nord et de la Baltique, concourir à des opérations combinées, tenir la campagne au besoin, et dans tous les cas forcer la Prusse à garder sur les lieux, à de grandes distances du vrai théâtre de la guerre, les réserves considérables qu’elle a pu à son gré diriger sur nos frontières. Tel était ce plan, si sérieux, paraît-il, que le ministre de la marine d’alors ne comptait s’en remettre qu’à lui-même pour l’exécution. Il entendait rester le maître des mouvemens de son effectif, commander les armées de mer, comme son collègue de la guerre commandait les armées de terre. Quoi qu’il en soit, il ne dépendit pas de la marine que ce plan de campagne ne fût réalisé à point nommé ; elle sut parer, à force d’activité, aux imprévoyances qui étaient signalées partout, combla les lacunes, tira de ses arsenaux des ressources qu’on ne les aurait pas crus susceptibles de fournir. À Cherbourg surtout, l’amiral Roze fit des prodiges. Il était chargé, comme préfet maritime, d’armer la flotte de transports ; en moins de deux semaines, cette flotte couvrit la rade, en état de prendre la mer, et n’attendant plus que les troupes à embarquer.

La journée de Reischofen, éclatant à l’improviste, montra la fragilité de ces combinaisons. L’infériorité numérique de nos forces y était mise en pleine lumière ; il eût été dès lors insensé, devant une insuffisance flagrante, de distraire de la défense de notre propre sol un simple détachement. Tout soldat exercé avait son prix devant une nation qui marchait en masse, instruite tout entière au métier des armes, et de longue main préparée à une guerre selon ses passions. Aussi fallut-il, en mettant de côté les illusions, ramener à des conditions plus modestes le rôle assigné à la marine, et lui emprunter pour un service intérieur les troupes qui lui sont propres, au lieu de lui en confier d’autres pour aller frapper au loin un ennemi qui était déjà chez nous. L’invasion du territoire commençait ; tout autre souci s’effaçait devant celui-là. Il va sans dire que le ministre dut renoncer à ses velléités de commandement actif. Les deux escadres prirent la mer avec leurs équipages réglementaires, rien au-delà. La première cingla vers la Baltique sous les ordres de l’amiral Bouet-Willaumez ; la seconde, l’ancienne escadre d’évolutions, sous les ordres de l’amiral Fourichon, quitta la Méditerranée pour la Mer du Nord, où elle établit ses croisières. En