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de Louis XI, était née d’un premier mariage de Philippe I. Aussitôt un juriste anonyme, sous l’inspiration et aux gages de Louvois, se mit à écrire un mémoire pour démontrer que les provinces belges appartenaient légitimement à Marie-Thérèse. Le roi, sur la foi du juriste, réclama la Belgique. Quoi de plus juste ? N’était-il pas dans son droit ? Pouvait-on lui objecter qu’il mettait la main sur le bien d’autrui ? Ce n’était pas un envahisseur, un conquérant ; c’était un mari qui réclamait pour sa femme la part de l’héritage paternel.

Malheureusement il n’existait pas de tribunal qui pût juger ce procès ; force était dès lors à Louis XI de recourir à la guerre, « Le ciel, disait l’auteur du mémoire, n’ayant pas établi de tribunal sur la terre à qui le roi de France puisse demander justice, il ne la peut chercher que dans son cœur, où il l’a toujours fait régner, et ne doit l’attendre que de ses armes. » C’est pourquoi Louis XI envahit la Belgique ; mais ne croyez pas qu’il soit l’agresseur, car il écrit en même temps à la cour d’Espagne : « Notre intention est d’entretenir religieusement la paix, ne voulant pas que ladite paix soit rompue par notre entrée dans les Pays-Bas, puisque nous n’y entrons que pour nous mettre en possession de ce qui a été usurpé sur nous. » Étrange langage des conquérans ! ils envahissent votre pays, et ils jurent qu’ils aiment la paix ; ils sont chez vous, ils foulent aux pieds votre sol, et ils affirment encore que c’est vous qui êtes les agresseurs !

Louis XI entra donc en Belgique avec une armée nombreuse ; les Espagnols ne s’attendaient pas à l’invasion, et leurs troupes n’étaient que dans la proportion de deux contre cinq. L’armée française n’eut que des succès, et Louis XI écrivit : « Dieu, qui est le protecteur de la justice, a béni et secondé mes armes. » Ne faut-il pas toujours que Dieu serve de second à la convoitise et à la force ? L’Espagne fut sauvée par l’intervention de l’Europe. L’Angleterre et la Hollande s’inquiétèrent de l’ambition du roi de France, et comprirent qu’il était dangereux de laisser s’établir en Europe une monarchie militaire et conquérante. Elles s’entendirent pour imposer la paix aux belligérant, et leur firent savoir qu’elles se déclareraient contre celui des deux qui refuserait de cesser la guerre. Louvois protesta aussitôt qu’il désirait la paix, et que c’était l’Espagne qui ne la voulait pas ; mais, ce mensonge n’ayant trompé personne, il dut se résigner ta traiter, « Il faut nous résoudre, écrivait-il alors à un de ses agens, à voir arriver la chose du monde que nous souhaitons le moins. » Cette chose-là, c’était la paix.

Il n’est pas aisé de mettre un frein à la politique d’envahissement. Louvois, sans perdre un seul jour, prépara une nouvelle guerre. On lui demandait de désarmer ; il supprima en effet dans tous les régimens de l’armée la moitié des compagnies ; seulement il dou-