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REVUE. — CHRONIQUE.

dire tout ce qu’elle vaut pour moi. La France en armes comme Paris, la France émue de sa détresse, noble et fière, prenant sa délivrance à cœur et résolue à s’affranchir, cela vaut la victoire, bien que ce n’en soit que la promesse, car c’est l’honneur sauvé. Je ne prétends certes pas que ce bien, tout réel qu’il soit, suffise à faire vivre un peuple, mais je dis que pour un peuple qui n’a plus ce bien-là, aurait-il tous les autres, il n’est pas de véritable vie.

Maintenant vous comprenez ce qui me rend indulgent pour l’année qui nous quitte, quelque odieux souvenir qu’elle me laisse. Je l’amnistie du mal qu’elle a vu faire en faveur du bien qu’elle a vu commencer. L’empire tombé, la paix trop hâtive évitée, c’était déjà entre elle et nous deux grands motifs de réconciliation ; ce qui plaide encore mieux pour elle, c’est cet involontaire hommage rendu par l’ennemi à nos armées nouvelles. Dans cette attestation, outre le témoignage d’un noble et viril effort qui nous honore, j’en trouve un autre d’un plus grand prix, j’y vois comme un premier signe de notre régénération. Or tout est là, mon cher monsieur, ne l’oublions pas. Dieu va-t-il s’apaiser ? trouvera-t-il bientôt que l’épreuve est complète ? Ces excès de rigueur dont il a l’air de nous poursuivre, nous accablant de tous ses fléaux, suscitant contre nous jusqu’aux hivers de Sibérie, est-ce la fin du châtiment ? Depuis trois mois sans doute nous nous sommes aidés nous-mêmes ; en avons nous fait assez pour qu’il nous aide à son tour ? Je n’oserais pas en vérité, empruntant à Bossuet une de ses familiarités sublimes, me permettre de dire : De quoi vous plaignez-vous, ô Seigneur ? Je craindrais trop que le Seigneur ne répondît ; il en aurait encore tant à dire ! mais au moins n’avons-nous pas acquis quelques droits à son indulgence ? Voilà des jeunes gens qui naguère, j’en conviens, menaient une triste vie, plus que frivole, indigne de leur naissance, mais voyez comme ils se rachètent et comme ils meurent en héros ! Ces prêtres, je ne veux pas dire que jamais le veau d’or leur eût fait fléchir le genou, mais ils avaient prêté peut-être aux suppôts de l’empire un trop complaisant concours, voyez, Seigneur, comme sous la pluie des balles ils vont chercher leurs frères sanglans et mutilés ! Espérons que tant de dévoûmens ont préparé pour nous dans l’année qui commence un retour de céleste faveur. C’est vers cette année nouvelle, vers 1871 que nos regards se tournent, c’est là qu’il faut porter nos vœux et nos prières. Continuons l’œuvre commencée, soyons fidèles à l’espérance aussi bien qu’au devoir ; quant au devoir, il est bien simple.

Vous, Français des départemens non encore envahis ou même à demi occupés, levez-vous, armez-vous, accourez à l’envi, allez grossir et renforcer ces armées, notre suprême et ferme espoir. Surtout soyez unis ; acceptez franchement et par vertu civique ce que peut-être vous n’auriez pas choisi, ce qui a d’ailleurs le privilége de vous diviser le moins.