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2e, 3e, 4e et 5e corps occupaient le long département de la Moselle de Longwy à Bitche. Le 1er corps était à Strasbourg, le 7e avait deux divisions dans le Haut-Rhin et la 3e à Lyon ; le 6e corps tout entier était à 50 lieues en arrière, au camp de Châlons. Pour obtenir ces 240,000 hommes en quinze jours, temps que l’on se plaisait à croire nécessaire aux Prussiens pour être prêts eux-mêmes, il avait fallu appeler 96 régimens d’infanterie sur 115,20 bataillons de chasseurs sur 21,55 régimens de cavalerie sur 63, et toutes les batteries montées et à cheval de l’artillerie, moins 7 restées en Afrique et à Civita-Vecchia, 157 batteries sur 164. Ces 157 batteries, avec les 942 bouches à feu qu’elles servaient, formaient une imposante artillerie pour une armée de 240,000 hommes et même de 270,000. C’était sensiblement la proportion de quatre bouches à feu par 1,000 hommes, proportion égale à celle usitée en Prusse, et supérieure à la proportion admise parmi les petits états alliés.

L’armée du Rhin, forte de 240,000 hommes, avec 942 bouches à feu, 8 parcs, 7 équipages de ponts et 2 équipages de siège, était donc une armée bien constituée et bien pourvue. En tant qu’armée, elle n’avait qu’un défaut, c’était d’être trop petite pour défendre 100 lieues de frontières vulnérables contre l’avalanche de 700,000 Allemands qui tombait sur elle, et ce défaut d’être trop petite était sans remède. Il n’y avait plus de cadres organisés derrière elle, plus d’autre ressource que l’improvisation des troupes de marche.

En se ménageant par les moyens diplomatiques un mois ou six semaines de répit, on eût pu, par la rentrée de tous les hommes de la réserve, par les engagemens volontaires et par l’incorporation de la classe de 1870, porter à 400,000 le chiffre des combattans, mais ce chiffre eût été encore très inférieur à celui de l’armée allemande, et il eût fait ressortir d’une manière plus sensible l’insuffisance des cadres de l’artillerie.

Il eût fallu faire d’avance ces calculs, savoir dévorer un affront, dissimuler jusqu’au moment où la nation, éclairée sur le danger terrible dont elle était menacée, eût compris que son premier intérêt, son plus sérieux devoir vis-à-vis d’elle-même était, sauf à régler plus tard ses comptes et venger ses griefs, de répondre à l’armement intégral des Allemands par l’armement intégral des Français. Le gouvernement impérial ne pouvait pas compter dans un avenir prochain sur un pareil concours, et la Prusse avait habilement étudié le défaut de la cuirasse. Elle s’était dit en décochant la flèche : Ou l’homme laissera passer la candidature du prince de Hohenzollern au trône d’Espagne, et il sera déshonoré aux yeux d’un peuple chatouilleux, ou bien il relèvera le gant, et nous écraserons une nation qui nous gêne, qui, depuis trois quarts de siècle,