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LA POLITIQUE D’ENVAHISSEMENT.

Quant à notre gouvernement, dans son manifeste à la France et à l’Europe, il n’annonça aucune autre ambition que celle de forcer la Prusse à désarmer afin de désarmer lui-même. On n’a pas le droit de dire que son intention secrète était de prendre la rive gauche du Rhin, car il s’engageait alors par un traité avec l’Angleterre à ne pas s’emparer, même en cas des plus grands succès, d’un seul pouce du territoire allemand. Ni la nation française ni son gouvernement ne songeaient à des conquêtes. Notre génération avait horreur de la guerre. Elle s’occupait à fonder des « ligues de la paix ; » elle s’endormait dans le beau rêve de la paix perpétuelle. Si la France a commis la maladresse de déclarer la guerre, ce n’est, pas elle au moins qui a commis le crime de la vouloir et de la préparer.

Mais il s’est trouvé en Europe un souverain et un ministre qui ont relevé le vieil héritage tombé à terre de Louis XIV et de Louvois, et qui ont repris les vieilles idées, la vieille ambition, les vieilles convoitises. Cette restauration d’un passé détesté nous est venue de la Prusse, comme si l’intelligence de la Prusse était en retard sur celle des autres peuples. Tandis que toute l’Europe comprenait depuis longtemps que la vraie grandeur des nations consiste dans leur travail, dans leur prospérité, dans le progrès régulier de leurs institutions libres, dans le développement de leur esprit, dans l’équilibre de leur conscience, tandis que tout ce qui était intelligent en Angleterre, en France, même en Allemagne, était unanime à reconnaître que les destinées des nations sont dans la paix et dans la liberté, la Prusse en était encore à croire que la grandeur tient au nombre des armées, et que la gloire dépend de la force et de la violence. Elle en était encore à mettre son ambition à être une grande puissance militaire. Au moment où l’esprit de travail prévalait dans toute l’Europe, l’esprit de conquête régnait encore à Berlin. C’est par la Prusse que la vieille politique d’envahissement a reparu dans le monde.

Pourtant tout a changé depuis deux siècles : idées, droit, institutions, tout s’est modifié, même en Prusse. Comment faire pour ressusciter au milieu de tant de choses nouvelles l’ancienne politique ? Le moyen est bien simple. On n’admet plus aujourd’hui que vous fassiez la guerre pour un intérêt personnel, eh bien ! vous trouverez un intérêt public pour la faire. Vous ne pouvez plus parler, comme Louis XIV, de votre gloire de roi par droit divin ; eh bien ! vous parlerez de la grandeur de la patrie. Vous mettrez en avant les mots d’unité et de nationalité. Vous prendrez le Hanovre au nom de l’unité allemande, vous prendrez l’Alsace et la Lorraine au non de la nationalité allemande. Quelques-uns vous objecteront peut-être qu’ils ne voient pas un lien nécessaire entre l’unité alle-