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tails ce qu’on entend modifier. Sous prétexte d’amélioration, ne troublons pas un mécanisme éprouvé, ne supprimons pas des garanties essentielles, et qu’enfin notre marche en avant ne soit pas exposée à devenir un pas en arrière.

L’expérience des dix-huit dernières années ne doit pas uniquement profiter aux réformes administratives ; elle peut encore inspirer de salutaires réflexions sur la direction politique de nos finances. Dans la période qui va s’ouvrir, lorsque la France sera sortie de la crise formidable qu’elle traverse, lorsque la question de salut public ne sera plus la seule, et que les choses auront repris un cours régulier, il est un premier résultat que l’on devra rechercher par des efforts constans, l’équilibre réel, effectif, du budget. Il serait essentiel d’implanter définitivement dans l’administration de l’état cette règle si simple qui est le fondement de l’administration privée, et qui consiste à ne pas dépenser au-delà de ses revenus. Pour y parvenir, il faut d’abord établir un ordre rigoureux, écarter toutes les dépenses somptuaires, supprimer les dotations ruineuses, les emplois inutiles, réduire les traitemens exagérés, empêcher les cumuls scandaleux, et proscrire cette sorte de confiscation d’une partie de la fortune publique au profit de quelques-uns. Il faut encore se défendre de ce qu’on appelle l’entraînement des dépenses productives. Il y a certainement des travaux qui ont pour résultat d’enrichir le pays en facilitant les communications, en développant les relations commerciales. Il est utile de les exécuter promptement et complètement ; toutefois il faut le faire dans la mesure de nos ressources. Il faut éviter surtout de recourir légèrement à l’emprunt, et de tendre pendant la paix les ressorts du crédit, dont toute la force doit être ménagée pour les circonstances critiques. C’est au ministre des finances d’exercer le contrôle le plus sévère sur les dépenses de ses collègues ; la fermeté du caractère est, avec l’honnêteté, la qualité qu’il doit posséder au plus haut degré. Ce n’est qu’avec elle qu’il peut défendre son budget contre toutes les entreprises et toutes les influences, arrêter ce flot des crédits supplémentaires qui a été la plaie de l’empire. Qu’il ne se préoccupe pas du renom d’habile : l’habileté est souvent la science des expédions ; mais qu’il fasse au grand jour de l’administration simple, loyale et sage. Enfin que la France, qui vient de ressaisir la direction de ses affaires, n’oublie plus qu’elle doit la retenir avec un soin jaloux, si elle veut avoir de bonnes finances. Le meilleur moyen d’arrêter l’essor des dépenses, c’est de remettre au pays la décision des questions qui les produisent. Il sera moins que personne sujet à se méprendre, car c’est lui qui supporte les conséquences et qui paie les frais des erreurs politiques.

L. Bouchard.