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à des époques fort différentes, la même histoire ; il refait les mêmes discours, il édite les mêmes tirades, il s’épuise en proclamations ; il ne déteste pas l’effet théâtral. Il installera sur les places publiques des estrades avec tentures et drapeaux pour les enrôlement de volontaires devant les populations plus étonnées que sympathiques ; il décrétera la victoire, tandis qu’il vaudrait mieux l’organiser ; il instituera des commissaires civils près des armées pour surveiller les chefs ; il destituera les généraux malheureux, proclamant que la république ne peut être vaincue que par la trahison. Il effraie les populations plutôt qu’il ne les attire ; il trouble le pays, qu’il aurait suffi d’émouvoir ; il fait si bruyamment tout ce qu’il fait, avec de si grandes déclamations et des gestes si furieux, que les gens calmes mettront en doute s’il ne place pas les intérêts d’un parti avant ceux de la France, et qu’on se demande quel serait son choix, s’il fallait en faire un.

Mais le bon sens de la nation s’est prononcé, et son action salutaire a ramené l’équilibre dans plus d’un esprit où il semblait d’abord en péril. La foi patriotique a déjà fait bien des miracles dans notre histoire. Je n’en connais pas de plus grand que celui qu’elle est en train d’accomplir. Il se produit dans la France entière un de ces mouvemens prodigieux qui soulèvent un peuple et ! e précipitent tout entier, frémissant et armé, au-devant de l’envahisseur. Nous ne savons pas tout ce qui se passe derrière cette muraille de fer élevée entre la province et nous ; mais on ressent une grande joie et un noble orgueil à deviner la vérité à travers la colère de nos ennemis et à reconstruire avec les indications qui leur échappent le tableau de nos chères provinces réunies dans un sublime élan. — Un de ces journaux rédigés pour l’armée ennemie et qui sont le léger, mais précieux butin de nos victoires d’avant-poste, se plaint en termes irrités du soulèvement de ces pauvres populations fanatisées. Il paraît que c’est très mal fait à nous de nous défendre, que cette obstination est de mauvais jeu, qu’après Sedan et Metz, n’ayant plus d’armée, nous ne devions plus lutter : tout le mal que nous leur faisons maintenant est pure malice et méchanceté noire. Le bon roi Guillaume nous le dit avec une sorte de tendresse : « Pourquoi arracher vos paisibles populations à leurs ateliers ou à leurs champs ? Je ne demandais pas mieux que de les laisser travailler en paix ; » mais ce qui est monstrueux, c’est que nous ayons songé à organiser des légions de francs-tireurs. Avec ces gens-là, fort incommodes pour « les vaillans Allemands, » on ne sait vraiment plus distinguer le soldat du bandit. Où cesse le combat honorable, où commence l’assassinat, on l’ignore. Il est très désagréable d’être exposé à trouver la mort derrière un buisson ou au coin d’un bois, quand on vient exercer dans un pays vaincu les