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LA POLITIQUE D’ENVAHISSEMENT.

la ville, qui était la propriété des habitans. Ne dites pas cela, car les Prussiens vous répliqueraient que la discipline est bien meilleure chez eux, que leurs officiers et leurs soldats incendient sans broncher, que quand on leur dit : Pille et vole, ils pillent et volent sans murmurer.

La population prussienne pense-t-elle de toute cette politique de ses hommes d’état ce que la France pensait de celle de Louvois ? Nous l’ignorons, et nous n’osons rien affirmer à cet égard. Il est possible qu’elle ne doive pas être tenue pour responsable de tout ce qu’on fait en son nom. Toutefois nous croyons remarquer chez elle un certain état d’esprit qui est assez en rapport avec la politique de M. de Bismarck. Tandis qu’en France les sentimens belliqueux ne se rencontrent plus que dans les classes ignorantes, en Prusse ce sont plutôt les classes élevées et instruites qui poussent à la guerre ; elles semblent infectées de cette vieille maladie qu’on nous reprochait autrefois et qu’on appelait le chauvinisme. Les anciennes idées sur la guerre et sur la gloire règnent encore, dit-on, dans les salons de Berlin et trônent dans les chaires de l’université. Cependant il faut songer, à la décharge de la population prussienne, que voilà deux siècles que la maison de Hohenzollern entretient chez ses sujets l’esprit de guerre. Depuis que cette famille s’est aperçue de la puissance de l’opinion publique, elle s’est appliquée à la tourner à ses vues et à la faire servir à ses intérêts ; elle a travaillé à la rendre belliqueuse, elle en a fait une machine de guerre. L’opinion en Prusse a été disciplinée comme l’armée. Louvois ne connaissait pas cette partie de l’art militaire. Il ne savait pas qu’avant de lancer un peuple dans la guerre il fallait dès l’école et presque dès le berceau lui inculquer des sentimens de haine contre l’étranger. Il n’enseigna point à la France à détester suffisamment les Espagnols, les Allemands, les Italiens. C’est un enseignement qu’on a toujours négligé chez nous. Il est résulté de là que nos officiers et nos soldats ont toujours parcouru l’Europe sans haïr et sans être haïs. Ils faisaient leur devoir de soldats, mais sans y mettre ni animosité, ni rancune, ni envie. L’Allemand, le Russe, étaient pour eux des adversaires plutôt que des ennemis. On se saluait avant le combat, on se serrait la main après la bataille ; la guerre était loyale et sans fiel. La maison de Hohenzollern a poussé l’art de combattre fort au-delà des limites connues. Elle a compris avant tous les autres hommes que, pour récolter plus sûrement la victoire, il faut commencer par semer la haine. Elle s’est mise à l’œuvre longtemps à l’avance ; bien avant de nous combattre, elle a répandu parmi ses sujets les calomnies les plus incroyables sur notre caractère. Elle n’a cessé de leur parler de notre orgueil, de notre ambition, de notre