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espérait déconcerter, décourager peut-être les assiégeans. Toute la garnison assista aux funérailles de Meunier ; le roi de Prusse ordonna de suspendre le feu pendant qu’on lui rendait les derniers honneurs, et le fit saluer d’une salve d’artillerie. Telle était l’estime qu’inspiraient déjà aux ennemis de la France les soldats de notre jeune république.

Goethe arriva au camp prussien le 27 mai, quatre jours avant le combat dans lequel Meunier allait trouver la mort. Il rejoignait là ses anciens camarades du régiment de Weimar, les officiers avec lesquels il avait partagé et supporté les souffrances de la retraite l’année précédente. Il leur paraissait doux d’échanger à l’abri et en sûreté les souvenirs d’une expédition où chacun d’eux aurait pu laisser sa vie. Par une belle saison, sous de bonnes tentes, ils se rappelaient avec le contentement que l’homme éprouve au sortir d’un désastre les angoisses par lesquelles ils avaient passé ; le vin de Champagne, qu’il leur avait été interdit de goûter dans le pays même, mais dont on avait fait provision pour le siège, égayait leurs souvenirs, et lorsque la conversation devenait plus grave, chacun rendait hommage à la perspicacité avec laquelle le poète avait jugé les événemens le soir de la bataille de Valmy en annonçant qu’une nouvelle ère historique daterait de cette journée mémorable ; mais bientôt l’image de la guerre allait apparaître là aussi aux yeux de Goethe dans sa sanglante réalité. Animés par l’activité héroïque de Merlin de Thionville, qui en costume militaire prenait sa part de toutes les sorties, les assiégés n’étaient pas d’humeur à laisser beaucoup de repos aux assiégeans. Dans la nuit du 30 au 31 mai, pendant que Meunier préparait son attaque contre une des îles du Mein, 6,000 hommes, guidés par un paysan d’Oberulm, traversaient les retranchemens ennemis et pénétraient jusqu’au quartier général du prince Louis-Ferdinand de Prusse. Goethe, qui campait à Marienborn, fut réveillé par le bruit de la fusillade, courut à cheval vers la tente du duc de Weimar, d’où les domestiques se préparaient à emporter déjà les bagages. Vers le point du jour, les Français se retirèrent après une lutte acharnée, et le soleil levant éclaira le champ de bataille. « Je vis, dit Goethe, étendues les unes à côté des autres les victimes de la nuit. Nos cuirassiers gigantesques, parfaitement vêtus, contrastaient avec les sans-culottes à la taille de nains et en haillons ; la mort les avait indistinctement moissonnés. » Ce court tableau peint les deux armées. Les Allemands avaient tout pour eux, la supériorité de l’équipement, la haute stature des troupes d’élite, l’expérience de la guerre, la solidité des vieux soldats ; les volontaires de la révolution, hier encore ouvriers des faubourgs de Paris ou paysans de nos plus pauvres villages, défenseurs improvisés de la cause nationale, mal vêtus,