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il alla lui-même parcourir la région du nord, et se mit en intime relation avec le peuple. C’était la vraie méthode, à laquelle le docteur Topelius fut redevable de pouvoir donner un recueil contenant un grand nombre de morceaux épiques ; tel fut le prélude de l’œuvre que le docteur Lönnrot allait achever.

Elias Lönnrot, désormais célèbre, est né en 1802 dans une petite ville de la province de Nyland, au sud du grand-duché de Finlande. Reçu docteur médecin en 1832, il trouva dans l’exercice de ses devoirs professionnels l’occasion de sa mission littéraire et nationale. Successeur de l’illustre Castren dans la chaire de langue et de littérature finlandaises à l’université d’Helsingfors, il a pris sa retraite en 1862, et vit aujourd’hui dans sa ville natale, à Sammati, entouré du respect et de la reconnaissance de tous ses concitoyens. Les mérites du docteur Lönnrot sont d’avoir poursuivi avec une énergie patriotique le projet d’un recueil complet des chants que la seule tradition avait perpétués en Finlande, d’avoir su recueillir lui-même ces chants, malgré mille fatigues, aux sources encore vivantes, d’avoir aperçu le lien qui unit ensemble ces poésies, et de les avoir, par un habile classement, groupées en un majestueux édifice.

Il faut lire parmi les souvenirs de voyage de M. Lönnrot combien laborieuse fut sa première tâche, ayant pour unique objet d’obtenir les fragmens restés dans la mémoire du peuple. Tout le nord de la Finlande et le pays frontière entre la Carélie finnoise et la Carélie russe lui offraient cent obstacles ; les routes y sont peu nombreuses, les solitudes immenses, le climat souvent redoutable. Comme il voulait pénétrer dans les lieux les plus éloignés des grands chemins, il lui fallait franchir de vastes espaces tantôt à cheval, en risquant de s’égarer, tantôt sur une mauvaise embarcation à travers les lacs, tantôt à pied pendant des journées entières. Il faisait dix lieues rien que pour aller joindre quelque pauvre paysan qui avait la renommée d’être un savant chanteur. Heureux lorsque, après tant de peines, il rencontrait un favorable accueil ; mais plus d’une fois, bien qu’il se fît reconnaître aisément pour un compatriote, il était pris en haine, tout au moins en défiance, et traité comme un espion, comme un ennemi étranger. C’est alors qu’il se montrait homme de ressources et fort habile. Une vieille gardeuse de pourceaux dont il voulait obtenir une strophe qu’elle seule paraissait avoir conservée dans son souvenir s’obstinant un jour, malgré ses prières, à rester muette, il ne perdit pas courage : quelque temps après, prenant position près de l’étable, il prélude sur le kantele, puis se met à chanter les premiers vers, dont il ne sait pas la suite ; la vieille l’écoute, elle le surveille, et, quand elle l’entend hésiter, répéter à faux, altérer même par ses inventions cal-