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neux d’aulnes, les terres mouvantes d’osiers, les champs arides de genévriers, le bord des rivières de chênes. Le chêne seul ne prend pas racine. Alors quatre vierges s’élancent de l’onde ; elles fauchent l’herbe, cette herbe est ensuite brûlée, et au cœur de cette cendre germe enfin le gland qui produira le chêne. Déjà la belle plante, le vert rejeton apparaît ; il brille comme une fraise, et de sa tige s’échappe une double branche. Un peu de temps, et le voilà qui arrête dans leur vol les nuées légères ; il obscurcit le soleil et la lune, et Wäinämöinen dit : N’y a t il personne qui puisse arracher le chêne, abattre le bel arbre ? Et voici qu’un héros sort des flots ; en trois coups de sa hache, il renverse le chêne à terre. Maintenant le soleil et la lune peuvent briller, les nuages peuvent poursuivre leur course, l’arc-en-ciel peut déployer son splendide croissant, et les bruyères commencent à verdir, les taillis à croître joyeusement, les feuilles à vêtir les arbres, le gazon à parer la terre, les oiseaux à gazouiller sous les ombrages, le coucou à chanter. — Cependant le blé et l’orge n’ont pas encore germé. Le vieux Wäinämöinen tire de son sac de peau de martre la quantité de grain suffisante, et dit : Terre, sors de ton repos ; gazon du Créateur, éveille-toi. Que chaque tige s’élance, que cent, que mille épis se lèvent du champ que j’ai ensemencé, du champ qui m’a coûté tant de fatigues. Ukko, dieu suprême, rassemble les nues ; fais lever un nuage à l’orient, un nuage à l’occident, un nuage au midi, verse l’eau des hauteurs du ciel sur les germes qui poussent, sur les semences qui se développent ; moi, je répandrai la semence sur la terre à travers les doigts du Créateur, à travers la forte main du Tout-Puissant, je la répandrai sur la terre féconde, sur le champ bien préparé !

Telles sont, en un résumé rapide, les premières pages du Kalevala. On peut y prendre une idée des allures et du style de ces récits poétiques. Une exacte traduction en serait difficile à suivre, à cause de la multiplicité des détails inexpliqués et confus dont s’embarrasse la narration, et des incessantes répétitions ou variantes que chaque trait comporte. Il ne faut pas s’étonner de cet abus des répétitions, soit pour les idées, soit pour les mots, qui caractérise le style du Kalevala, et que notre analyse essaie de reproduire. C’est là un des traits habituels à la poésie primitive, qui s’expliquent, aussi bien que l’allitération, le rhythme, la mélopée, par la nécessité de secourir la mémoire et de venir en aide à la transmission purement orale. Il est évident que l’esprit des auditeurs a cherché un plaisir dans la musique monotone de ces vers finlandais de huit syllabes amenant un flux d’expressions synonymes, propres à bercer l’attention plutôt qu’à la retenir éveillée. C’est un cachet d’authenticité en ce sens qu’une telle poésie n’a pu