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peut dire en ce moment que les hommes mariés qui ont voulu quitter les compagnies de marche ont presque toujours pu le faire. Quant aux bataillons, en très petit nombre, qui sont encore aujourd’hui une exception à cette règle, il est certain qu’on tiendra toujours compte des élémens qui les composent dans le rôle qu’ils seront appelés à remplir.

Les mesures pour prévenir les injustices qu’aurait entraînées l’application littérale de la loi ont été nombreuses. L’état-major ne pouvait toujours en prendre l’initiative ; mais il avait le devoir de les encourager. C’est ainsi qu’il permit à certains bataillons de fournir un effectif inférieur au chiffre réglementaire de 400 hommes. Il autorisait en même temps les mutations, qui permettaient à des bataillons formés en grande majorité d’hommes mariés de prendre des célibataires dans des bataillons voisins. Malgré les abus auxquels ont donné lieu les mutations, qui ont parfois dégénéré en remplacement payé, elles ont été, à tout prendre, une mesure juste et d’une sérieuse utilité. La classe des réfractaires non mariés devait aussi, dans bien des cas, être appelée à remplacer les hommes de la quatrième et de la cinquième catégorie. Les sergens-majors, les capitaines, les délégués des mairies et les gardes eux-mêmes se mirent en campagne. Dans des quartiers qui avaient à peine fourni une compagnie, on trouva souvent en quelques heures jusqu’à 30 et 40 jeunes gens qui cherchaient à échapper à la loi, les uns par dégoût d’un service actif et fatigant, d’autres par simple apathie, d’autres enfin par lâcheté. L’état traite aujourd’hui avec plus de dédain que de rigueur ces réfractaires de tout genre. Les cadres sont remplis, tous les fusils employés ; ces hommes inexpérimentés et mal disposés ont peu à craindre qu’on les inquiète. À un point de vue qui n’a rien de militaire, ils offriraient toutefois un curieux sujet d’étude, — depuis l’homme égoïste, indépendant, qui fuit le service par défaut de caractère plutôt que par manque de courage, jusqu’aux pauvres hères, dont on évaluait récemment le nombre à près de 6,000, qui, poursuivis par la crainte d’être appréhendés au collet, vivent dans de perpétuelles inquiétudes, changent tous les soirs de domicile, achètent le silence des garçons d’hôtel, se condamnent par peur à une vie ridicule, dispendieuse, même parfois inavouable. Les réfractaires de cette classe sont certainement des exceptions, et ne méritent aucune pitié. Beaucoup de jeunes gens, au contraire, incorporés par force dans les régimens de marche, y ont montré une rare énergie, un entrain toujours soutenu. Dans plusieurs compagnies, ils ont donné l’exemple du vrai courage ; quelques-uns, à peine pris par la garde nationale, se sont engagés dans des régimens de ligne. La garde nationale leur avait