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homme de bon cœur cependant, ne trouva que ces mots : « Que voulez-vous ? maintenant nous sommes soldats et en pays conquis, il faut bien que le militaire brise. » Ce n’était pas une raison, semblait-il, pour ruiner les gens du peuple, pour détruire, comme cela était arrivé dans la rue voisine, la pauvre cabane de deux vieillards aveugles à qui la commune avait concédé un coin de terrain. Tous les discours du monde n’y purent rien ; ce soldat ne sortait pas de ses phrases vides sur les devoirs de la vie militaire. Quelques compagnies démobilisés se sont, il est vrai, abattues sur des maisons comme une bande de voleurs ; mais ç’a été aussi l’exception, et bientôt la présence de camarades moins indulgent sur ce sujet les a fait revenir au respect de la propriété. En somme, aujourd’hui tout se borne en général à prendre une persienne pour s’en faire un lit, voire les deux battans d’une armoire, quand on est assez heureux pour les trouver, et les plus délicats doivent avouer que pour les vols de ce genre on se fait au cantonnement une conscience plus facile qu’on ne l’aurait pensé. Tout compte fait, la garde mobilisée n’aura pas beaucoup à se reprocher dans la dévastation des environs de Paris.

Ces pauvres maisons de campagne que nous avons laissées si précipitamment au mois de septembre, souvent sans pouvoir en rien enlever au milieu de la confusion des déménagement, à l’approche d’un ennemi qui nous menaçait chaque jour davantage, dans quel état les retrouverons-nous ? Nous les avions ornées de ce qui nous était le plus cher ; celles qui n’étaient pas luxueuses avaient été remplies à loisir de ces mille objets que nous aimions à retrouver dans les heures de repos ; le moindre coin nous y rappelait mille souvenirs, et ces souvenirs n’avaient rien à faire avec tout ce qui est convenu et impersonnel dans notre vie si occupée de chaque jour. Les pillards sont arrivés, et, ce qui est plus cruel, des pillardes français ; nos livres, nos tableaux, nos ameublement, ces riens précieux que nous avions réunis, tous ces objets amis qui nous recevaient au mois de mai, tout a été dispersé.

L’état des environs de Paris est navrant : ces portes ouvertes, ces vitres brisées, ces murs qu’on a percés pour que les troupes puissent se réunir plus vite en cas d’attaque, ces meurtrières et ces créneaux qu’on voit en maint endroit, les arbres de parcs magnifiques coupés, les jardins détruits pour faire des fascines ou du feu, ces solitudes et cette désolation vous laissent une des plus tristes impressions qu’on puisse éprouver. Au petit village de Port-à-l’Anglais, quatre habitations seulement ont été respectées ; les propriétaires ou des gardiens sûrs y étaient restés. Dans le moment de panique qui a précédé l’investissement, on est parti au plus vite ; c’était une grande faute à laquelle les municipalités n’ont pas tou-