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L’armée et le régime militaire étaient jusqu’ici restés presque tout à fait inconnus à la plupart d’entre nous. Il semblait que, pour parler des choses de la guerre, il fallût appartenir à l’aristocratie des officiers. Nous avions des soldats qui se battaient pour nous, et notre rôle était seulement de juger les coups et de chanter les Te deum. Pour l’armée comme pour tant d’autres de nos institutions, il faudra une réforme après la paix, et il est assez probable, au train où vont les choses de l’Europe, qu’un système plus ou moins analogue à la landwehr sera introduit en France. La garde mobilisée est une landwehr, mais levée en quelques heures, et qui n’a pas trois ans de service sous les drapeaux. La manière dont cette jeune troupe se conduira ne pourra manquer d’instruire ceux qui ont à charge les intérêts du pays. Nous n’aurons pas à copier servilement l’Allemagne, surtout après l’expérience que nous faisons aujourd’hui, et qui nous apportera des enseignement si pratiques ; notre génie national lui-même indiquera beaucoup de modifications et de tempérament qui laisseront à notre armée des traits originaux. Toutefois dès aujourd’hui on peut marquer un des points dont nos législateurs auront à se préoccuper. Six semaines de campagne qu’ont faites les mobilisés de Paris sont déjà un enseignement. La vraie démocratie ne doit pas confondre toutes les intelligences et toutes les valeurs sociales sous le niveau d’une égalité déployable ; elle doit les subordonner selon leur mérite pour le plus grand progrès de toute la nation. Ce serait donc perdre une partie des forces du pays que d’astreindre au même service les hommes déjà cultivés et ceux qui aspirent à le devenir. La partie manuelle du métier de simple soldat, surtout en temps de paix, est destructive de toute intelligence : il faut craindre d’y soumettre également et pour le même temps, sans distinction aucune, les jeunes hommes de toutes les conditions. Il est juste aussi que dans l’armée les qualités intellectuelles ne soient pas tenues en mépris, soient appelées au commandement, et là peut-être se trouve le moyen de tout accorder. Aujourd’hui dans la garde mobilisée nous avons dû prendre pour chefs les hommes qui avaient quelque expérience de la vie militaire, c’était une nécessité ; il fallait des instructeurs et des guides, nous n’avions pas le temps de mieux faire. Nos chefs en général sont l’exemple de ce que fait la vie militaire de l’homme peu cultivé, eût-il d’ailleurs une nature juste et droite ; ils sont très braves, mais ils croient trop vite qu’à l’armée, pourvu qu’on soit prêt à se faire tuer, on n’a plus aucun mérite à rechercher, et souvent leur intelligence ne s’élève pas au-dessus des formules convenues du commandement.

L’armée prussienne prend tous les hommes valides : le service actif est de trois ans, de vingt à vingt-trois ans, le service dans la