Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/362

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ramassée par milliers dans un endroit éloigné des côtes, et on ne la découvrit pas une seule fois dans les autres parties de la mer où se poursuivaient les opérations. Le même phénomène, qu’il faut attribuer à la nature du fond, tantôt couvert de roches, tantôt sablonneux ou vaseux, se reproduisit pour une infinité d’animaux.

Les recherches n’avaient encore été poursuivies que sur une bien petite étendue de l’Océan, et déjà, relativement à plusieurs questions dont tout le monde appréciera l’importance, la lumière était faite. Au premier abord, on pouvait s’étonner de voir en grand nombre vers le 60e degré de latitude nord des animaux de la Méditerranée qu’on n’a jamais rencontrés dans des régions moins froides. Les observations récentes ont permis de reconnaître que ces animaux avaient émigré en suivant une marche à peu près régulière du sud-ouest au nord-est et s’étaient rarement engagés dans le détroit. C’est une preuve de la formation tardive de ce passage ajoutée à tous les indices de l’union du sol de l’Angleterre à celui de la France dans un temps médiocrement reculé. D’une manière très générale, les espèces du midi se montrent dans de plus hautes latitudes sur les côtes occidentales que sur les côtes orientales ; celles qui semblent faire exception ont été portées en premier lieu jusqu’au littoral de la Norvège, et sont redescendues plus tard près des rives de l’Écosse. Les mollusques, surtout répandus dans les régions arctiques et connus ailleurs par des coquilles à l’état demi-fossile, trouvés vivans dans les grandes profondeurs à quelque distance des îles Shetland, annoncent une élévation du lit de la mer dans des localités où ces animaux habitaient autrefois et sans doute un abaissement sur d’autres points. Les espèces découvertes dans les mêmes parages, qu’on supposait éteintes parce qu’on les connaissait seulement par des coquilles plus ou moins abondantes dans des terrains de la période tertiaire, montrent, contrairement à l’opinion reçue, que la vie de beaucoup d’animaux existant à des époques fort anciennes a persisté jusqu’à nos jours. En s’arrêtant à la pensée que l’obscurité règne dans les grandes profondeurs de la mer, l’analogie devait faire naître une supposition peu conforme à la réalité. Les animaux terrestres qui fuient absolument la lumière revêtent des teintes sombres et demeurent privés de la vue ; les animaux marins saisis près des îles Shetland à 150 ou 170 brasses au-dessous de la surface de l’eau comme ceux qu’on péchait en même temps aux îles Lofoten, à 250 ou 300 brasses, et sur la côte d’Amérique, à plus de 500 brasses, ont des couleurs aussi vives, des nuances aussi fraîches que ceux du littoral. Les espèces appartenant à des groupes dont les divers représentans possèdent des yeux ne sont pas davantage dans une autre condition. Il faut donc douter des prétendues ténèbres des abîmes de l’Océan.