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rouges qui nous tyrannisent. Voilà cependant de quelles histoires les journaux de M. de Bismarck nourrissent l’Allemagne. Ces histoires étaient bonnes au premier moment, tant qu’on pouvait espérer tromper l’Europe, tromper l’Allemagne, tromper Paris sur les provinces et les provinces sur Paris. Ces moyens sont usés, M. de Bismarck fera bien d’en chercher d’autres. Eh ! sans doute, cette guerre que le gouvernement de la défense nationale a voulu humainement arrêter quand il en était temps encore, cette guerre est une épreuve cruelle, quoiqu’on définitive elle ne soit pas plus dure pour nous qu’elle ne le sera peut-être pour l’Allemagne. La France, livrée à elle-même après des désastres inouïs, a mis trois mois à se débrouiller, à se sentir revivre en quelque sorte, et dans cette terrible crise tout n’a pas dû se passer le mieux du monde. Il a pu y avoir en province, dans certaines villes, de coupables violences. À Paris même, il y a par instans des menaces, des tentatives ; on ne nous apprend rien en nous rappelant nos aventures révolutionnaires ; mais ce que l’Europe ne peut ignorer, ce que l’histoire dira, c’est que jamais peut-être Paris n’a été plus calme que pendant ces trois mois, c’est que tous les efforts violons et tyranniques se sont brisés contre le patriotisme d’une population tout entière, c’est que dans cette guerre que nos ennemis nous imposent, dans ce siège incomparable que nous soutenons, il a fallu la puissance du sentiment national vibrant à la fois dans toutes les âmes pour supporter des difficultés en apparence invincibles, et ces difficultés, ces incohérences, toutes ces choses étranges qu’il est si facile de remarquer, elles tiennent en définitive à la situation même qui nous a été faite à l’improviste.

La vérité est que ce siège de Paris restera un des événemens les plus extraordinaires non-seulement par lui-même, par sa durée, par le réveil de tous les sentimens virils dont il a été le signal, mais encore par les conditions dans lesquelles il s’accomplit. Qu’on imagine en effet ce spectacle étrange et curieux de l’opération la plus vaste, la plus compliquée, la plus délicate, se déroulant au sein de la liberté intérieure la plus illimitée, en face d’un ennemi habile à tirer parti de tout, et à saisir toutes les occasions. Cette défense qui ne ressemble à rien de ce qu’on a vu jusqu’ici dans l’histoire de la guerre, elle s’est constituée, elle se développe depuis quatre mois, elle agit pour ainsi dire au grand jour sans pouvoir rien cacher, même ce qu’elle aurait le plus souvent le plus d’intérêt à dissimuler. Elle ne peut remuer un canon, faire un mouvement sans que tout le monde aussitôt en soit instruit, et c’est assurément pour la première fois qu’on voit un gouvernement défendre une ville investie de toutes parts, soutenir la lutte la plus terrible au milieu de toutes les contestations, de toutes les récriminations, de toutes les dissidences qui peuvent librement se produire, — avec des clubs où retentissent toutes les déclamations, avec des journaux qui ne laissent rien