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les clubs, et on trouvera aussi des soldats pour obéir à ces généraux, une population pour se laisser conduire comme un troupeau ! On décrétera la victoire, on fusillera les traîtres, et tout sera dit.

Assurément M. de Bismarck ne demande pas mieux que de voir réussir ces belles tentatives. Il y a déjà quatre mois qu’il les attend et compte sur elles pour lui livrer la grande proie qu’il convoite, et M. de Moltke aussi serait bien soulagé, s’il apprenait que le « moment psychologique » est enfin arrivé, que l’arme de la défense de Paris vient de tomber entre les mains des héros de la commune. Rien en vérité ne serait plus agréable à la Prusse que de voir arriver à son secours ce renfort de la sédition intérieure. Et d’un autre côté est-ce bien sérieusement qu’on se figure qu’il suffirait d’établir une commune à l’Hôtel de Ville pour multiplier nos vivres, pour soulager toutes les misères, pour faire régner l’abondance et le bien-être dans cette population dont on cherche à exploiter les inévitables souffrances ? Malheureusement ce n’est pas une révolution de plus qui allégerait nos maux en ce moment, elle ne ferait évidemment que les aggraver, et puisqu’il se trouve des maires si émus des besoins de Paris, si impatiens de faire le bien du peuple, ils ont un moyen fort simple d’occuper leur activité. Ils n’ont pas besoin de sortir de leur sphère et d’aller à l’Hôtel de Ville ou à la place Beauvau ; qu’ils aillent dans leurs arrondissemens, qu’ils s’occupent des intérêts qui leur sont confiés, qu’ils organisent un peu mieux la distribution des vivres et des secours. Ces modestes travaux sont, à ce qu’il paraît, au-dessous de leur génie ; il leur faut un théâtre plus vaste, et, quand ils n’ont plus à s’occuper que de leur municipalité, ils donnent leur démission. C’est bien plus tôt fait de se tirer d’embarras en invoquant la commune. La commune est le remède à tous les maux, elle n’a qu’à paraître pour chasser les Prussiens, pour ravitailler Paris. Hélas ! la commune ne peut rien de tout cela, elle ne nous délivrerait pas des armées prussiennes, elle ne donnerait pas un morceau de pain de plus à ceux qui ont faim, elle ne réchaufferait pas les membres glacés de ceux qui ont froid ; elle perdrait tout au contraire, elle aggraverait une crise déjà si dure, elle ajouterait à nos épreuves la confusion violente, elle ferait tomber infailliblement les armes des mains de Paris, elle raviverait les méfiances des provinces, à la fois rassurées et enflammées jusqu’ici par l’exemple de leur capitale. Elle serait enfin le signal de la guerre civile au milieu de la guerre nationale contre l’étranger.

Non, quelles que soient ces discordances et ces agitations d’un temps d’épreuves, elles ne triompheront pas de ce généreux et intrépide sentiment qui s’est emparé de la France depuis le jour où elle s’est trouvée en présence des affreux désastres qui venaient de l’accabler à l’improviste ; elles ne seront pas assez fortes pour compromettre ce réveil soudain, dont le mérite est justement de n’être l’œuvre d’aucun parti,