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conque où s’abrite un cœur d’homme et même aussi de femme, à qui cet odieux vacarme et ces atrocités n’inspirent moins de trouble que d’exaspération. Ils n’ont pas tous même courage, même mépris du danger ; mais l’idée que la résistance en doive être abrégée d’un seul jour, cette idée n’entre chez personne, pas même à Belleville, tenez-le pour certain.

J’aurais voulu que M. de Bismarck nous fît l’honneur de venir en personne assister aux premières scènes de la bruyante tragédie si bien préparée par lui ; il aurait vu l’accueil qu’ont reçu ses obus, avec quelle bonne humeur, quel héroïsme insouciant, poussé jusqu’à l’imprudence, hommes, femmes, enfans, venaient, comme à l’exercice, assister aux premières explosions de ces instrumens de mort. Nous-mêmes qui l’avions vue, cette population parisienne, depuis tout à l’heure quatre mois, passer par tant d’épreuves, se soumettre à des privations qui de sang-froid lui auraient paru plus dures que la mort même, et s’y accommoder simplement, résolument, et toujours sans murmure, nous n’étions pas, je l’avoue, pour ma part, sans redouter un peu que ces diaboliques engins ne triomphassent de sa constance. Elle nous a bientôt rassurés, en devenant, je puis le dire, encore plus décidée, plus résolue, plus ferme. C’est donc une affaire jugée bien que l’arrêt ne soit pas rendu, ce grand bombardement moral, ce moyen infaillible, ce souverain remède tant promis à Berlin, tant attendu, tant exalté, cette façon d’en finir et d’épargner le temps, d’échapper aux dangers entrevus à Versailles, ce bombardement, quoiqu’on fasse, ne sera qu’un avortement sans cesser d’être une abomination.

Plus que jamais nous devons donc espérer malgré les rudes conditions où nous sommes et qu’il nous faut toujours envisager sans illusion aussi bien que sans crainte, malgré bien d’autres bombardement d’un genre plus dangereux qu’on nous ménage à coup sur pour produire dans nos rangs des explosions de fausses nouvelles et de découragement, malgré tout, nous devons espérer que Paris tiendra jusqu’à l’heure si bien prévue et redoutée par la Gazette de Silésie, l’heure on les lignes assiégeantes seront prises entre deux feux ; mais si cette heure libératrice venait à trop tarder, si Paris, après avoir poussé jusqu’à complet épuisement sa sublime gageure, devait cesser de rendre à la patrie l’immense et sacré service qu’il acquitte aujourd’hui, qu’on ne nous parle pas de 1871, qu’on ne nous dise pas que dans notre France la chute de la capitale entraîne du même coup la soumission du pays ; qu’on ne donne pas au-delà du Rhin à ces femmes, ces mères, ces épouses, justement avides de paix, cette consolante et fausse analogie ; non, 1871 ne ressemblera pas à 1814, d’abord parce que Paris ne sera pas pris, et que, fût-il pris, la guerre, loin de s’éteindre, n’en serait que plus acharnée.

Ces grands docteurs qui font parler l’histoire n’y regardent point