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avait subi la loi à laquelle sont soumis tous les êtres vivans, les peuples comme les individus : elle touchait à la vieillesse. Ses jours n’étaient point comptés : avec un sage régime, elle pouvait vivre encore de longues années ; mais elle n’avait plus cette jeune sève qui aspire à se répandre au dehors et à donner la vie, elle avait passé l’âge d’enfanter. Il y avait six ou sept siècles que la Grèce avait produit son premier chef-d’œuvre, l’épopée homérique ; à partir de ce moment, c’avait été une suite ininterrompue de merveilles ; après l’épopée étaient venues la poésie didactique, l’ode et l’élégie, puis le drame athénien avec la riche diversité de ses formes, d’Eschyle à Euripide, d’Aristophane à Ménandre. Au moment où baissait le souffle poétique, la prose était née : on avait eu l’histoire, l’éloquence et la philosophie. Les arts plastiques, pour ne s’être développés qu’après les lettres, n’avaient pas été moins féconds : architectes, peintres et sculpteurs s’étaient montrés les dignes émules des poètes dont ils traduisaient les conceptions, et ce qui reste de leurs ouvrages n’a depuis lors cessé de faire l’admiration et le désespoir de la postérité. Chaque saison, on le voit, avait eu sa récolte. Le tronc puissant de ce grand arbre avait poussé en tout sens, l’une après l’autre, des branches vigoureuses qui, chacune à son tour, s’étaient couvertes de fleurs et de fruits ; puis, peu à peu, tout en gardant un vert feuillage qui prouvait que la vie n’était pas éteinte au cœur du vieux chêne, elles étaient toutes devenues stériles. Plus tard, à la faveur de la paix romaine, il devait même y avoir une sorte de renaissance. Comme ces marronniers que l’on voit parfois, quand l’automne est beau, prendre le mois d’octobre pour le mois d’avril, et faire une seconde fois leur toilette de printemps, la Grèce devait avoir encore, sous les empereurs, sinon des poètes, sinon même des prosateurs qui égalassent les anciens maîtres, tout au moins des artistes distingués, des historiens intéressans, de profonds philosophes, d’éloquens orateurs ; mais il lui fallait, avant ce regain de vitalité féconde, un repos de deux ou trois siècles.

Ce repos, dont la Grèce avait besoin, ne fut pas d’ailleurs l’inaction. L’imagination était lasse ; elle se sentait incapable de plus rien créer de simple et de grand, et jamais pourtant l’esprit grec ne se donna plus de mouvement, ne fut plus actif et plus curieux. Ce fut Alexandrie qui, pendant toute cette période, grâce à sa situation et aux établissemens scientifiques dont la dotèrent les premiers Ptolémées, fut la vraie capitale intellectuelle de l’hellénisme ; sans méconnaître les titres de Pergame, de Rhodes et d’Athènes, qui eurent aussi leurs bibliothèques et leurs chaires, nous nous conformerons donc à l’usage généralement reçu : Alexandrie résu-