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nouvelle on s’est mieux connu, on s’est expliqué. Les fantômes se sont évanouis, et les mains se sont serrées ; mais ce n’est pas tout. Après s’être avoué que leurs parts dans les fautes du passé, comme dans les mérites du jour présent, étaient bien égales, la France et Paris se sont aperçus, non sans surprise, que leurs vues d’avenir étaient absolument les mêmes. Nous voulons tous, quelle que soit la forme du gouvernement, l’intégrité du territoire, l’ordre, la liberté, l’économie, la décentralisation, l’instruction générale, la moralité dans les pouvoirs publics et dans les familles. Nous ne voulons plus nous battre pour des mots. Les mêmes nécessités nous imposent à tous les mêmes opinions.

Si, comme je le suppose, les rancunes, les préjugés, qui séparaient Paris et la province, ne survivent pas à nos malheurs, si la réconciliation de toutes les branches de la famille française est le profit de nos mauvais jours, restera-t-il encore des raisons sérieuses de demander la translation du pouvoir central et de l’assemblée nationale hors des murs de Paris ? On répète que la ville est trop grande, habitée par un pouvoir trop fort, par une population industrielle trop nombreuse, qu’en définitive Paris fera toujours la loi à la province, et que l’émeute fera toujours la loi à Paris. Près de ce marais, la France est exposée à un accès de fièvre intermittente qu’un déplacement peut seul couper. Au fond, ce ne sont pas là des argumens contre Paris, ce sont des argumens contre la centralisation française et contre l’organisation industrielle. M. de Tocqueville a répondu d’avance : « Ce n’est ni la situation, ni la grandeur, ni la richesse des capitales, qui causent leur prépondérance politique sur le reste de l’empire, c’est la nature du gouvernement. Londres, qui est aussi peuplée qu’un royaume, n’a pas exercé jusqu’à présent d’influence souveraine sur les destinées de la Grande-Bretagne [1]. »

Tous les hommes politiques sans exception sont ici pleinement d’accord avec les vœux si justement, si fortement exprimés par la province depuis longues années en faveur d’une large décentralisation. C’est de Nancy que les plus remarquables travaux sur cette grande question sont partis, et cette noble Lorraine, maintenant envahie, mais résolue à demeurer française, montre assez que la décentralisation n’a rien de commun avec le fédéralisme ; les plus ardens avocats de la liberté individuelle et locale sont les plus fermes soutiens de l’unité nationale. Ils savent distinguer la centralisation politique, plus que jamais nécessaire, et la centralisation administrative, l’une des causes principales des malheurs de la France. Au retour d’une meilleure fortune, on n’hésitera point à ac-

  1. L’Ancien Régime et la révolution, ch. VII, p. 111.