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sez pour nous faire une haute idée du talent d’Antiphon et de l’importance de son rôle, nous manquons de détails sur les circonstances de sa vie. Les biographies que lui ont consacrées le Pseudo-Plutarque et Philostrate sont pleines de confusions et de contradictions ; ce qui nous est resté de ses œuvres ne nous apprend rien sur sa personne. Le texte capital, celui qui, bien mieux que tous les bavardages des compilateurs, nous fait connaître Antiphon, c’est une page d’un contemporain, de Thucydide. C’est à propos de la révolution aristocratique, tentée en 411 pour supprimer la constitution athénienne, qu’il insiste sur Antiphon et sur la part que prit ce personnage à toutes ces intrigues. Le nouveau gouvernement, raconte-t-il, fut publiquement proposé au peuple par Pisandre ; mais celui qui en avait tracé tout le plan et qui s’était occupé surtout de l’exécution, c’était Antiphon, « homme, continue l’historien, qui ne le cédait en mérite à aucun de ses compatriotes, et qui excellait tout à la fois à concevoir et à exprimer ses pensées. Il est vrai qu’il ne prononçait pas de discours devant le peuple et ne s’engageait de lui-même dans aucun débat public, car il craignait la méfiance qu’inspirait au peuple la puissance de sa parole ; mais il n’y avait personne à Athènes de plus capable de servir par ses conseils ceux qui avaient une lutte à soutenir en justice ou devant le peuple, et la défense la plus parfaite qui ait été jusqu’à ce jour entendue dans une cause capitale est celle que prononça Antiphon alors qu’après la chute des quatre cents, il fut accusé comme leur partisan. »

Cette éloquence ne suffit pas à le sauver. Selon le droit du temps, il ne méritait que trop la mort. Depuis plusieurs mois, ses amis et lui avaient fait disparaître tous les plus honnêtes gens du parti opposé. Les uns avaient été frappés dans l’ombre par des spadassins qu’enrôlaient et que payaient les membres des hétairies ou clubs aristocratiques ; les autres avaient succombé sous des verdicts arrachés aux tribunaux par la terreur, et qui n’étaient autre chose que des meurtres juridiques. Tous ceux qui n’avaient point cherché à temps un refuge auprès de l’armée de Samos étaient ainsi tombés tour à tour. Bientôt les meneurs oligarchiques avaient vu que la résistance de cette armée, sincèrement attachée aux institutions démocratiques et dirigée par des hommes de cœur tels que Thrasylle et Thrasybule, pouvait faire avorter leurs projets. Alors Phrynichos et Antiphon étaient partis pour Sparte comme ambassadeurs ; en échange de l’autorité qui leur serait garantie, ils offraient de recevoir la flotte péloponésienne dans le Pirée et une garnison dans l’acropole ; ils voulaient livrer Athènes à l’étranger. Si Athènes fut alors sauvée, elle ne le dut qu’à l’apathie et à la lenteur spartiates. Voilà ce qu’avait fait Antiphon : n’était-ce point assez pour