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sible derrière son client, à laisser croire aux juges que c’était bien celui-ci qui portait la parole. Au contraire, dans ces compositions que nous avons comparées à nos éloges et discours académiques, tout le conviait à faire valoir les finesses et les grâces de son esprit, à déployer toutes les ressources de son talent et de son style.

Dans l’Invective contre Alcibiade, que cite Plutarque, il faut voir aussi plutôt un pamphlet politique, fait pour être répandu dans la cité, qu’une accusation intentée devant un tribunal athénien. L’histoire, assez bien connue, du brillant et funeste Athénien ne nous offre nulle part trace d’un procès de ce genre ; mais vers le moment où Alcibiade, réfugié à Milet, commençait à traiter de son retour avec les chefs de l’armée de Samos, les aristocrates, qui croyaient déjà toucher au but, ne se virent pas, sans un vif tressaillement de haine et de colère, exposés à trouver sur leur chemin un homme dont ils craignaient tout à la fois le génie et la versatilité politique. Ce serait alors qu’Antiphon, le publiciste du parti, aurait lancé contre Alcibiade une sorte de libelle destiné à agir sur l’opinion : il y racontait à sa manière la jeunesse et toute la carrière de ce personnage, sa vie publique et privée ; il cherchait à réveiller toutes les préventions, tous les soupçons. Par malheur, Alcibiade, avant et après son exil, avait fait la partie belle à ses ennemis.

C’est surtout, croyons-nous, à des ouvrages de ce genre, aux écrits d’Antiphon plutôt qu’à ses plaidoyers judiciaires, que sont empruntés les extraits assez étendus que Stobée, dans son précieux recueil de morceaux choisis, a faits de l’œuvre d’Antiphon. Ce qu’ils contiennent tous, ce sont des réflexions sur la vie humaine, sur le caractère et les mœurs des hommes. Sans doute cela ne peut se comparer ni aux profondes analyses d’un Aristote, ni aux grands traits d’un Pascal, ni à la pénétrante sagacité d’un La Rochefoucauld ; mais il faut songer que nous assistons là au début de ces études, et que l’homme, après tant de siècles pendant lesquels il avait vécu d’une vie toute naïve et spontanée, commençait alors seulement à se regarder et à s’observer lui-même. Certaines pensées, qui nous paraîtront aujourd’hui presque banales, avaient alors une fleur de nouveauté qui charmait les contemporains. D’ailleurs celles même de ces remarques dont le fond ne nous semblerait pas offrir un grand intérêt se recommandent encore par l’élégante sobriété et le relief de l’expression : c’est là un mérite dont aucune traduction ne saurait donner l’idée. Nous nous bornerons à citer quelques lignes où l’écrivain défend ce que nous appelons le principe d’autorité ; elles sont curieuses en ce qu’elles semblent porter l’empreinte des opinions politiques d’Antiphon, et nous donner une des raisons de sa haine pour un régime démocratique où il voyait