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les plaidoyers, nous sont arrivées plus altérées ; certains des défauts que l’on reproche à la langue de ces ouvrages peuvent s’expliquer par ce mauvais état du texte. Enfin nous n’avons là que des exercices d’école où Antiphon n’a pas mis tout son talent et tout son effort, dont le canevas a peut-être été tracé par lui d’une main rapide pour les besoins de son enseignement. En pareil cas, il ne serait pas étonnant qu’il n’épuisât point son sujet ; quant à la subtilité, c’est l’éternel défaut du génie grec, l’inévitable rançon de ses qualités. Platon lui-même n’en sera pas plus exempt que ces sophistes et ces rhéteurs dont il raille les arguties ; Démosthène est presque le seul qui, dans ses chefs-d’œuvre, échappe à ce danger, à cette exagération de la finesse. Sans oser rien affirmer, j’inclinerais donc à croire que les tétralogies, elles aussi, remontent à une époque reculée, qu’elles nous viennent d’Antiphon ou tout au moins de son école. Il n’y aurait rien d’impossible à ce qu’elles appartinssent moins à lui-même qu’à ses élèves ; n’avons-nous pas conservé dans les œuvres des rhéteurs latins Sénèque le père et Quintilien de nombreux essais dus aux jeunes gens qu’ils exerçaient à l’art de la parole ?

L’enseignement de la rhétorique, avec le succès qu’il avait obtenu tout d’abord en Sicile, à Athènes et dans toute la Grèce, avait déjà pris une forme assez régulière et assez complexe pour qu’il n’y ait rien d’invraisemblable dans cette hypothèse. Remarquons en effet qu’Antiphon ne représente que la troisième génération des rhéteurs grecs ; Corax et Tisras avaient ébauché la théorie, Gorgias et ses émules l’avaient développée, Antiphon recueille leur héritage ; mais il laisse de côté ces spéculations philosophiques auxquelles se complaisaient les sophistes, il dédaigne les sujets mythologiques, comme cet Eloge d’Hélène qu’avait composé Gorgias. Ceux même de ses ouvrages qui se rattachent au discours d’apparat, comme le Discours politique et le Discours sur la concorde, ont encore trait à la vie réelle, doivent agir sur les esprits de ses contemporains, leur donner certaines dispositions, certaines idées dont l’écrivain prétend bien tirer profit dans l’intérêt de ses opinions et de son parti. Comme c’était en dernier lieu devant les tribunaux que venaient se décider à Athènes toutes les questions, c’est l’éloquence judiciaire qu’il a surtout en vue, c’est elle qu’il cultive en écrivant des plaidoyers pour quiconque le paie, c’est elle qu’il enseigne surtout aux jeunes gens riches, ambitieux et bien doués, qui se pressent dans sa maison. Il a mieux défini que ses prédécesseurs, il a circonscrit le domaine de la rhétorique ; aussi creuse-t-il le terrain plus profondément et le rend-il plus fécond. Nous avons déjà parié des tétralogies et du recueil des exordes et péroraisons ; Cicéron, tradui-