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de phrase qui se lient l’un à l’autre par des conjonctions copulatives ou disjonctives, comme et, puis alors, ensuite, mais ; chacun des détails de l’idée forme un groupe de mots isolé, et semble avoir même valeur que ce qui le précède et ce qui le suit. Tout est, pour ainsi dire, au même plan et sur la même ligne. Les pensées ne sont pas rangées en ordre de bataille ; mais, l’une après l’autre, à mesure qu’elles se présentent à l’esprit du conteur, elles viennent défiler devant le lecteur. C’est la conversation avec toute son aisance aimable et toutes ses grâces, comme aussi avec tout son laisser-aller, avec sa courte haleine et ses pauses fréquentes, avec ses répétitions qui aident le causeur en lui donnant du temps. Chez Isocrate au contraire, on trouve la période savante, qui forme un ensemble de parties artistement agencées et équilibrées ; la place de chacune de ces parties indique dès le premier moment si elle est principale ou accessoire, et on ne pourrait, sans troubler toute l’harmonie, l’enlever du lieu où l’auteur l’a mise, pas plus que dans un corps vivant l’on n’enlèverait un organe sans jeter le désordre dans toutes les fonctions. Chez Antiphon et Thucydide, les phrases sont déjà plus étendues, bien plus longues et plus pleines que celles d’Hérodote mais chacune de ces phrases n’est encore qu’une accumulation d’idées qui se produisent sans qu’un art sûr de lui-même ait commencé par les subordonner les unes aux autres et par définir les limites de chaque groupe. Il arrive à tout instant, notamment chez Thucydide, dont l’esprit est beaucoup plus fécond, que de nouvelles pensées qui semblaient avoir été oubliées, viennent tout d’un coup s’ajouter à la phrase quand on la croyait finie, ou s’y insérer, par une sorte de parenthèse, là où il n’y avait point d’endroit réservé pour les recevoir De là résulte tantôt un allongement qui rend le style traînant tantôt une sorte de pléthore ou de congestion qui le rend embarrassé et obscur.

Mais, si ces écrivains ne savent pas encore subordonner l’accident à la loi, le secondaire au principal, ils savent déjà établir un rapports entre les idées, les coordonner au moyen de particules copulatives, adversatives ou disjonctives. Quand tous leurs plans ne sont pas dérangés, comme cela arrive souvent chez Thucydide, par l’intervention inopinée de pensées qui se jettent tout d’un coup à la traverse, la phrase observe une symétrie qui se présente sous deux formes préférées ; ou les idées se groupent sur deux lignes parallèles, ou elles s’opposent comme en deux fronts ennemis. Dans l’un et l’autre cas, il y a une exacte correspondance des deux phrases ou des deux parties de la phrase ; à chaque côté est assigné le même nombre de mots, et, autant que possible, de mots qui sonnent à peu près de même à l’oreille. Cela rappelle la symétrie raide et le pa-