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elle se réfugia sur ses vaisseaux, résolue à transporter à Batavia, s’il le fallait, sa fortune et sa liberté. Eh bien ! cette magnanime immolation sauva la Hollande ; des femmes, des enfans, repoussèrent l’invasion en ouvrant les écluses, et, le temps aidant, la Hollande remit ses affaires en état. De son holocauste surgit Guillaume d’Orange, qui la vengea bientôt du grand roi, lequel à son tour subit les revers de la fortune, et n’échappa plus tard lui-même à la ruine que par la victoire de Denain.

Sera-ce aussi la destinée de l’ennemi qui nous a couverts de ses projectiles ? Il est aveuglé par la bonne fortune, comme disait du vainqueur d’Iéna une héroïque femme qui sut encore vivre de pain et de sel en de cruelles extrémités. « Il est sans modération, ajoutait-elle, et qui ne se modère pas perd nécessairement l’équilibre et tombe. » Il devrait donc tomber à son tour, l’ennemi qui ne sait s’arrêter à propos, mais à une condition, celle de notre constance inébranlable. La France aura-t-elle plus de fermeté qu’il n’y a eu de violence dans l’invasion qu’elle a subie ? C’est le secret de l’avenir ; mais c’est du droit des gens que nous voulons surtout parler.

Au commencement de ce siècle, un éminent et respectable jurisconsulte, Portalis, proclamait avec bonheur cette espérance, que désormais la guerre serait restreinte dans son action. Le droit de la guerre est fondé, disait-il, sur ce qu’un peuple, pour l’intérêt de sa conservation ou pour le soin de sa défense, veut, peut ou doit faire violence à un autre peuple. C’est le rapport des choses et non des personnes qui constitue la guerre ; elle est une relation d’état à état, non d’individu à individu. Entre deux ou plusieurs nations belligérantes, les particuliers dont ces nations se composent ne sont ennemis que par accident ; ils ne le sont point comme hommes, ils ne le sont même pas comme citoyens ; ils le sont uniquement comme soldats. Il y a six mois seulement, telle était la doctrine universellement admise en ce qui touche le droit de la guerre. Qui aurait osé par exemple poser en principe, parmi les publicistes et les hommes d’état, que la guerre devait nourrir la guerre ? Quel général n’eût été regardé comme un barbare, si, à ce titre du plus fort et au nom de la victoire, il eût cru légitime de détruire les monumens, de saccager les campagnes, d’écraser les villes de réquisitions, de piller les châteaux et les palais, de bombarder les bibliothèques, les hôpitaux, les églises, les écoles, les musées ? Nos expéditions et nos courtes guerres avaient depuis plus d’un demi-siècle donné l’exemple salutaire des améliorations que les lumières du temps et les progrès de la fraternité humaine avaient introduites dans les relations internationales. Partout où des armées européennes s’étaient heurtées dans ces derniers temps, elles avaient donné l’exemple de cette bonne conduite. Plus d’une fois le théâtre