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et les autres plus ou moins grièvement blessées. La moyenne des personnes atteintes a donc été à peu près de vingt-cinq par jour, et il a fallu lancer 20 obus pour chaque personne atteinte. Parmi les victimes, on compte en nombre presque égal les hommes, et les femmes et les enfans ; au commencement, ces derniers étaient en majorité. Le nombre d’édifices privés endommages a été moyennement de cinquante par jour, le double de celui des personnes. Il a fallu par conséquent lancer 10 obus pour atteindre un édifice. La surface occupée par toute la partie mitraillée étant d’environ 2,000 hectares (le quart de la surface de Paris), il faudrait bombarder quatre cents jours pour atteindre chaque maison, ou tout au moins chaque partie superficielle d’un are équivalente à un carré de 10 mètres de côté, soit 100 mètres carrés superficiels. Si l’on estime également au quart du chiffre des habitans la population bombardée, on voit que la chance de chacun d’être touché est encore assez faible ; elle n’est pas de 1 sur 20,000, en comptant 500,000 habitans pour la partie bombardée et 25 personnes touchées par jour. Et comme chacun a pris des précautions, comme le tir de l’ennemi est allé peu à peu s’affaiblissant, le nombre de mauvaises chances a même de beaucoup diminué depuis le 18 janvier, date à laquelle se limitent nos calculs.

C’est le 26 janvier à minuit, après trente jours, que le bombardement s’est arrêté. Il ne nous appartient pas d’examiner ici la phase nouvelle dans laquelle est désormais entrée notre grande lutte avec l’Allemagne ; qu’il nous suffise de répéter une fois encore qu’au point de vue militaire le bombardement tout seul n’eût amené aucun résultat. La population la plus éprouvée, celle de Saint-Denis, après avoir passé plusieurs jours dans les caves, après avoir laissé des morts dans les étages supérieurs des maisons faute de pouvoir leur donner la sépulture, le cimetière lui-même étant devenu inabordable, après avoir vu l’incendie détruire successivement une partie de la ville et tout s’effondrer sous les obus, la population de Saint-Denis était venue se réfugier à Paris, et ne pensait pas plus à se rendre que les habitans de la rive gauche de la Seine. Chacun avait partout haussé son courage au niveau de la situation, et chacun était décidé, coûte que coûte, à tenir devant la mitraille allemande jusqu’à la dernière bouchée, et, comme le voulait Palafox à Saragosse, « jusqu’à la dernière cloison. »

L. Simonin.