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est une école qui achève et confirme, pour l’usage de la vie pratique, les principes puisés dans les autres écoles. — Les institutions militaires prussiennes mettent à la disposition du roi toutes les forces intellectuelles du pays. — La Prusse n’est pas un pays qui a une armée, c’est une armée qui possède un pays[1] ! »

M. Stoffel exagère sans doute, avec les préjugés de sa profession, les mérites d’une éducation militaire qui n’a produit, suivant la forte expression de M. Jules Favre, qu’une sorte de « barbarie scientifique ; » mais il n’en exagère pas l’effet, sinon pour former à toutes les vertus, du moins pour plier à l’obéissance et à la règle le caractère d’une nation. L’armée prussienne a discipliné la nation qu’elle possède au lieu d’être possédée par elle, et il faut ajouter qu’elle l’a disciplinée dans la haine de la France. Quelque docile que fût un tel peuple, la charge universelle du service militaire ne pouvait lui être imposée sans qu’il eût ou qu’il crût avoir un intérêt à la subir. Après Iéna et Tilsitt, l’ardeur de la délivrance parlait assez haut pour dispenser de tout autre motif ; mais, une fois l’oppresseur chassé et sa puissance brisée, qu’allait devenir cette organisation, sans laquelle la Prusse ne pouvait maintenir son rang et étendre son influence en Allemagne et en Europe ? Elle s’était fondée au cri de guerre à la France ; il fallait pour la conserver que le même cri trouvât toujours de l’écho dans les cœurs prussiens, et pour cela que l’ambition française leur fût toujours présentée comme un épouvantail et un objet d’aversion. L’instruction obligatoire nourrit dans ces sentimens les jeunes générations ; elle leur fait accepter sans se plaindre toutes les exigences du métier de soldat ; elle trouve enfin dans ce métier lui-même son complément et sa consécration. Dès lors la nation est faite ; elle façonnera sans peine à son image les autres peuples allemands, déjà préparés à suivre son exemple par une instruction qu’anime le même esprit. Et quand la confédération du nord et ses alliés du sud auront puisé dans une commune discipline l’oubli de leurs divisions, ils pourront se ruer sur la proie détestée qui s’offre imprudemment à eux ; ils sont organisés pour la victoire et sans scrupule pour tous les abus de la victoire.


III.

Nous portons la peine d’une agression impolitique et le poids d’une haine imméritée. L’agression, d’ailleurs plus apparente que

  1. 37e rapport, 28 février 1870.