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et Poulmann, où furent appelés des hommes comme Chateaubriand, Carrel, Lamennais, cette vénérable enceinte qui entendit Berryer, Dupin, Paillet, Jules Favre, Chaix-d’Est-Ange au temps de la grande éloquence des assises, qui la reconnaîtrait aujourd’hui ? Toutes les boiseries en sont enlevées. Trente lits d’hôpital sont alignés le long des murailles nues et blanchies à la chaux, et ces lits, hélas ! ne sont pas inoccupés. Seul, le christ de Philippe de Champaigne, qui reçut les regards supplians de tant d’affligés, est encore à sa place, comme s’il devait être l’éternel témoin de toutes nos misères. La chambre du conseil où se retirait la cour pour délibérer sur ses arrêts est devenue le triste laboratoire où se font les opérations chirurgicales. On prétend que cette ambulance est une des mieux organisées de la ville. Une commission composée de magistrats, d’avocats, d’avoués, la dirige et pourvoit à tout. Le grand ambulancier, le brancardier, l’infirmier par excellence, est le premier président Gilardin : à Champigny, au fort de la mêlée, il releva les blessés sous une grêle de balles ; mais tous d’ailleurs, à toute heure, sont au lit des blessés, multipliant les soins qui peuvent adoucir leurs souffrances. Un magistrat éminent, un avocat célèbre se fait au besoin l’écrivain public, le secrétaire du fils, du frère, de l’ami, qui veulent donner un souvenir à ceux qui sont au loin, et dont la main ne peut encore ou ne peut plus soutenir la plume. Si le soldat prussien refuse de prendre la potion qu’on lui présente parce qu’il la croit empoisonnée, un des honorables ambulanciers boit le premier, et d’un geste, lui montrant l’image du Christ, lui fait comprendre mieux que par la parole peut-être que l’humanité chez nous ne sait pas distinguer entre les combattans tombés avec honneur au poste du devoir.

L’absence d’un certain nombre de magistrats à l’heure de l’investissement a été diversement appréciée. On a fait remarquer qu’après Sedan la marche des armées prussiennes laissait à chacun le temps de revenir à son poste des points les plus excentriques de la France. Il faudrait prendre garde cependant de manquer de justice envers ceux qui, s’étant appliqués toute leur vie à la rendre aux autres, auraient le droit assurément de demander avant tout qu’on voulût bien les entendre. Tant de motifs peuvent être dès à présent envisagés ! Un des vice-présidens du tribunal manquait aussi à l’appel le 3 novembre. Eh bien ! depuis quelques jours seulement on connaît sa triste odyssée. Parti de Rouen, où il laissait sa femme et ses enfans, il a vainement essayé à deux reprises de franchir les lignes prussiennes. Il était à Neauphle le 5 octobre ; le 6, il tentait de gagner Versailles. Depuis, a-t-il été fait prisonnier ? faut-il s’arrêter à de plus funestes conjectures ? Deux choses restent certaines, les