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expérience, pourront apporter le plus large contingent dans les différentes sphères du service public. En attendant, rendons au barreau cette justice, qu’il a consciencieusement poursuivi son œuvre ; son amour du bien restera dans tous les cas hors de conteste.

Dans ces efforts persévérans contre les envahissemens du pouvoir, contre ses tendances à tout abaisser, à tout corrompre, le barreau ne sépara jamais son œuvre de celle de la magistrature ; il s’étudia au contraire à proclamer sans cesse que cette œuvre était commune, qu’un seul lien les unissait, celui du devoir envers la loi, envers le pays, et que, si en dernière analyse les gouvernemens disparaissent, la justice est toujours là, parce qu’elle est l’éternel pivot de la société. Rappelons-nous comment Berryer, devant une des chambres du tribunal où il défendait avec l’énergie du lion un droit qu’il croyait sacré, en face des menées du pouvoir, avertissait les magistrats par l’autorité de sa grande parole des pièges qui étaient préparés à leur intégrité, à leur conscience. « Vous avez, comme nous, s’écriait-il, traversé bien des révolutions. Vous pouvez subir toutes les conditions que les pouvoirs divers vous imposent pour demeurer dans le sacerdoce judiciaire ; mais vous y demeurez avec le sentiment de votre dignité. Les pouvoirs passent, ils imposent leurs conditions passagères. On vous respecte à travers tous ces gouvernemens qui se succèdent, sous lesquels vous restez sur vos sièges, rendant la justice et la rendant avec dignité ; mais si vous sortiez de ce rôle élevé, si vous l’abandonniez un moment, ce sentiment de respect pour votre vie, ce sentiment supérieur à toutes les mutations, à toutes les transfigurations politiques, ferait place à un sentiment tout à fait contraire. Vous en êtes incapables, et vous vous maintiendrez compétens. » C’est en 1852, que Berryer parlait ainsi. Devinait-il que la justice, comme les autres institutions, entrait avec le nouveau gouvernement dans une phase périlleuse où son indépendance serait incessamment assaillie ? Si l’empire en effet n’a point anéanti la magistrature, il a pesé sur elle, et de mille manières il a essayé de la courber à ses volontés. Elle lui était apparue comme une de ces puissantes digues qui arrêtent certains courans quand il le faut. Pour l’affaiblir, il fixa le terme de la carrière à l’âge de soixante-dix ans ; en rendant ainsi les vacances plus nombreuses, il allait fournir à l’avancement des compétitions qu’il se réservait de satisfaire à sa manière. En 1852, le conseil d’état avait appris comment on peut faire son chemin en quelques heures. L’affaire des biens de la maison d’Orléans avait donné au gouvernement la bonne occasion de récompenser les conseillers qui s’étaient montrés dociles à ses vues et de destituer ceux qui avaient cru de leur conscience d’y résister. Vis-à-vis de la magistrature inamovible,