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l’est n’eût pas précisément l’air de nous assurer un secours très prochain. Nous en étions encore à espérer, à voir tout en beau. Nous nous souvenons même que le gouvernement, dans une de ses proclamations, se laissait aller à nous dire que les armées de l’est et du nord marchaient déjà vers nous ; mais ce n’était encore qu’un mirage. Le général Chanzy, au lieu de s’avancer sur Paris, s’est vu attaqué lui-même autour du Mans par le prince Frédéric-Charles, qui n’était, à ce qu’il paraît, ni blessé ni prisonnier, qui s’était borné à changer silencieusement son front de bataille d’après les nouveaux mouvemens de nos armées. Certes ces dépêches récemment publiées du chef de nos forces de l’ouest sont d’un homme qui ne perd pas la tête dans une vaste opération, et qui sait tenir ferme devant l’ennemi ; elles ne laissent pas moins entrevoir dans leur dramatique laconisme ce qu’a pu être cette bataille du Mans qui a rejeté le général Chanzy au-delà de la Mayenne, peut-être jusqu’en Bretagne, et qui dans tous les cas réduit pour quelque temps notre armée de l’ouest à l’inaction. Faidherbe, de son côté, n’a pas été plus heureux : attaqué à Saint-Quentin, il a été repoussé jusqu’à Lille, avec M. Gambetta lui-même, qui, à ce qu’il semble, vient d’avoir la triste fortune d’assister en quelques jours à nos deux défaites de l’ouest et du nord. Quant à Bourbaki, il est toujours dans l’est, ayant lui aussi fort à faire d’après toutes les vraisemblances, et dans tous les cas ne paraissant pas plus en mesure de couper les communications prussiennes que de nous secourir.

Décidément l’offensive libératrice promise par M. Gambetta n’était pas heureuse ; c’était une dernière illusion qui s’évanouissait, de sorte que le gouvernement, enfermé ici avec nous, se trouvait tout à coup dans cette situation cruelle où il n’avait plus rien à espérer. Lui-même il tentait une dernière fois la fortune en livrant la bataille du 19 sur les hauteurs de Montretout, et il n’était pas plus heureux que Chanzy ou que Faidherbe. Tout lui manquait à la fois. Essayer encore des sorties nouvelles, la fameuse sortie en masse, l’éternelle trouée à travers les lignes prussiennes, c’était assurément la plus meurtrière et la plus puérile des chimères ; les armées de province ne pouvaient plus arriver de longtemps, et les vivres allaient manquer ! En épuisant toutes nos ressources, nous pouvions tout au plus aller dix jours, lorsque déjà Paris se voit réduit à vivre avec 25 grammes de viande de cheval et 300 grammes de pain noir.

Que pouvait faire le gouvernement ? Il a subi la nécessité inexorable ; il n’a pas eu à faire un choix, il n’était plus même libre de gagner ou de perdre du temps, il a négocié au plus tôt, et quand on lui fait encore le reproche de n’avoir pas prévenu la population, de n’avoir pas dit tout haut la vérité sur l’état de nos subsistances, on ne voit pas que, s’il eût fait ce qu’on lui demandait, s’il eût publié notre détresse, il s’enlevait d’un seul coup le dernier moyen de négociation qui lui restait. Si