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tait pas de différences aussi tranchées. Les moyens d’attaque et de défense étaient à peu près les mêmes. Les terres incultes et couvertes de forêts ouvraient aux indigènes des retraites sûres. Les Slaves, pas plus que les Celtes, n’ont pu détruire les peuples qui occupaient avant eux les terres où nous vivons.

Les violences d’une conquête barbare entraînent elles-mêmes des unions et concourent à la formation d’une race métisse. Le temps d’ailleurs calme les haines et adoucit les répugnances. Les Aryens et les allophyles durent se mélanger d’autant plus aisément que les vainqueurs n’étaient certainement pas de beaucoup au-dessus des vaincus au point de vue de l’état social. De là naquirent ces populations à caractères mixtes que l’on rencontre partout. Parfois aussi les races se juxtaposèrent pour ainsi dire et occupèrent la même contrée, se mêlant sans doute en partie, mais sans se confondre entièrement. La Lithuanie présente de nos jours encore la persistance d’un pareil état de choses. Les deux types y sont restés très distincts[1]. Enfin les races indigènes, plus nombreuses à coup sûr que les hordes envahissantes, durent former longtemps des groupes compactes où ne pénétra que fort peu l’élément étranger, où tout se conserva, la langue aussi bien que les caractères physiques. Il reste encore quelques témoins de ces îlots, jadis sans doute bien plus nombreux et plus étendus. Les Lives, les Esthoniens, ne sont pas autre chose. C’est là un fait que mettra difficilement en doute quiconque aura examiné attentivement trois têtes osseuses d’Esthoniens généreusement cédées à notre Muséum par le Cabinet d’histoire naturelle de Saint-Pétersbourg[2]. Les mâchoires inférieures de deux d’entre elles présentent au plus haut degré les particularités remarquables qui caractérisent la mâchoire trouvée en France dans les terrains quaternaires de Moulin-Quignon. La troisième offre dans son ensemble une ressemblance non moins frappante avec les têtes humaines fossiles extraites des cavernes de Belgique par M. Dupont, et remontant aux mêmes âges géologiques. Les Esthoniens, les populations qui leur ressemblent, sont bien les descendans directs des hommes qui ont vécu en France en même temps que les éléphans et les rhinocéros.

La fixité de ces caractères pendant un laps de temps supérieur à tous ceux qu’embrassent les plus lointains souvenirs de l’humanité est faite pour surprendre au premier abord ; elle s’explique pourtant lorsqu’on se rappelle que les Esthoniens ont dû vivre sous l’empire de conditions d’existence peu différentes depuis ces temps

  1. Malte-Brun.
  2. Voyez les Bulletins de la Société d’anthropologie, 2e série, t. Ier.